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Les démocraties usagées

L’élection présidentielle américaine illustre le paradoxe d’un système qui porte en lui par nature le germe de son autodestruction.

Ce qui vient de se passer aux Etats-Unis n’a rien d’étonnant. L'Histoire compte de nombreux précédents. Si l’on confie le pouvoir au peuple, il faut aussi accepter que celui-ci démissionne.
KEYSTONE
Ce qui vient de se passer aux Etats-Unis n’a rien d’étonnant. L'Histoire compte de nombreux précédents. Si l’on confie le pouvoir au peuple, il faut aussi accepter que celui-ci démissionne.
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
13 novembre 2024, 9h00
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S’inquiète-t-on à tort de la réélection de Donald Trump? Si un peuple élit librement un autocrate, la démocratie exige, au péril de se détruire elle-même, de lui accorder l’accès au pouvoir. C’est la qualité la plus précieuse de l’institution démocratique, sa capacité de suicide politique. Comme il n’existe pas d’institution parfaite ou de constitution idéale, parce qu’elles sont toutes des inventions humaines, il faut donc prévoir une procédure d’autodestruction. Une démocratie parlementaire est mieux organisée pour disparaître qu’une dictature, dont on ne peut sortir que par une révolution violente ou une défaite militaire.

Ce qui vient de se passer aux Etats-Unis n’a rien d’étonnant. L’Histoire compte de nombreux précédents: en France, les première, deuxième et troisième républiques se sont achevées par des autocraties, des deux Napoléons en 1804 et 1851, puis de Pétain en 1940; en Allemagne, l’élection d’Adolf Hitler en 1933; en Hongrie, celle de Viktor Orban; et en Russie, celle de Vladimir Poutine.

Si l’on confie le pouvoir au peuple, il faut aussi accepter que celui-ci démissionne. Les institutions ne se justifient que par une obligation de résultat: mieux vaut manger sous un dictateur que souffrir de faim dans un chaos politique. Un régime démocratique se doit donc de garantir les fins de mois.

Une démocratie parlementaire est mieux organisée pour disparaître qu’une dictature, dont on ne peut sortir que par une révolution violente ou une défaite militaire

Jacques Neirynck

Mal conçu, mal géré, il tombe dans une forme d’impuissance, dont la France est actuellement l’exemple type: sa politique sociale généreuse est financée par l’endettement, le pays vit au-dessus de ses moyens, chaque génération existe aux dépens des suivantes. Lors de chaque élection, le régime en place ne peut se maintenir au pouvoir qu’en distribuant des cadeaux, acquis à crédit. Il ne peut demander au peuple de travailler davantage, puisque celui-ci est persuadé de son droit à consommer plus que ce qu’il produit, au fur et à mesure que se succèdent les législatures.

Un écueil que les institutions suisses ont appris à éviter au terme d’une longue évolution. Il a fallu sept siècles pour comprendre que la démocratie parlementaire, bien pratiquée, se termine en acratie: une dilution du pouvoir telle qu’on ne sait plus qui prend les décisions. Dans cette situation, il est impossible de viser la dictature, parce que le candidat sera éliminé du jeu. C’est ce qui est arrivé à Christoph Blocher, desservi par son ambition au point de voir son mandat de conseiller fédéral non renouvelé, à rebours d’un usage imprescriptible, ce qui avait donné lieu à une manifestation d’allégresse, tout à fait inhabituelle, de l’Assemblée fédérale.

Beaucoup de démocraties parlementaires sont à la peine. Alors que la tâche la plus urgente est la décarbonation de l’énergie, on assiste chaque année à l’augmentation de la production mondiale de gaz à effets de serre. La hausse de la température moyenne a dépassé le seuil symbolique de 1,5 degré visé lors de la COP de 2015.

Si les catastrophes naturelles comme celle de Valence se multiplient, c’est le pouvoir politique qui sera remis en question: le premier ministre espagnol a dû être exfiltré face à une émeute des sinistrés. Or, il est difficile de concevoir comment une démocratie parlementaire réussirait à atteindre ses objectifs de décarbonation en imposant une réduction du confort des électeurs.