Notre pays, souvent cité en exemple pour sa stabilité politique et son pragmatisme institutionnel, est pourtant confronté actuellement à un défi majeur: l’incapacité croissante de son système politique à porter des projets ambitieux. Les échecs successifs de réformes de la prévoyance et de la santé sont de parfaits exemples. Et même des projets plus anecdotiques et déjà financés font l’objet d’intenses oppositions stériles et souvent émotionnelles. C’est le cas par exemple avec l’élimination indispensable des six goulets d’étranglement autoroutiers.
Depuis 1848 et jusqu’à la Première Guerre mondiale, le paysage politique suisse était dominé par deux grands partis gouvernementaux: le Parti radical démocratique et le Parti démocrate-chrétien. Ces deux forces, bien qu’idéologiquement distinctes, partageaient une volonté commune de bâtir les fondations modernes du pays. Leur collaboration a permis de poser les jalons de la prospérité suisse.
A partir de la fin de la «Grande Guerre», l’arrivée du Parti socialiste comme troisième force gouvernementale a modifié le paysage politique. Si l’élargissement à gauche a permis une meilleure représentation des sensibilités sociales, il a également rendu les compromis plus complexes. La nécessité de trouver des accords tripartites impliquait de concilier des visions souvent divergentes sur des sujets fondamentaux, qu’il s’agisse de politique économique, sociale ou environnementale.
Malgré ces défis, cette période a encore vu la réalisation de projets ambitieux dans une dynamique constructive, comme le développement du réseau ferroviaire ou les politiques de prévoyance sociale.
Le morcellement politique n’est pas une fatalité. Il peut devenir une richesse si les politiciens parviennent à transcender leurs divisions
Luc Oesch
Depuis les années 1990, le paysage politique suisse s’est encore fragmenté, rendant les compromis de plus en plus difficiles à établir. L’émergence de nouvelles forces, telles que l’Union démocratique du centre et les Verts, ainsi que la montée des petits partis, ont accentué la polarisation et multiplié les lignes de fracture au sein du Parlement.
A ce jour, aucune alliance de partis ne dispose d’une majorité claire, ce qui complique considérablement l’aboutissement de compromis politiques. Ce morcellement a pour conséquence une paralysie progressive de nos institutions. Les grands projets nécessitant une vision à long terme, tels que le développement de nouvelles capacités de productions d’électricité et le développement de nouvelles infrastructures de transport, sont systématiquement bloqués. Pire, des projets qui permettraient de transformer notre pays sont passés aux oubliettes (le Swissmétro, ou la fin d’un siècle de prélèvement provisoire de l’impôt fédéral direct).
Les intérêts des partis politiques prennent souvent le pas sur l’intérêt commun et les débats se perdent dans des querelles émotionnelles et de détails plutôt que de s’orienter vers des solutions constructives.
Le morcellement politique n’est pas une fatalité. Il peut devenir une richesse si les politiciens parviennent à transcender leurs divisions pour se concentrer sur l’intérêt commun en faisant abstraction de leurs ego. Le contraste est saisissant avec une époque pas si lointaine, marquée par la création de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) ou la construction des autoroutes et des barrages hydroélectriques pour ne citer que quelques exemples.