En 2002, le PIB européen était au second rang mondial, devancé seulement par les Etats-Unis avec un écart de 17%. En 2023, le Vieux Continent est relégué en troisième position par la Chine, et le décalage avec le pays de l’oncle Sam s’est creusé à 30%. En 2002, les entreprises européennes investissaient plus que les américaines, en 2023 moins. Le coût de l’énergie est 3,5 fois plus élevé de ce côté de l’Atlantique. En 1960, l’Union européenne (UE) comptait 186 millions d’habitants de plus que les Etats-Unis; en 2100, elle devrait en avoir 45 millions de moins.
Pire. On pourrait croire que l’Europe perd sa domination dans les technologies traditionnelles, mais se renforce dans celles liées à la transition énergétique. Or, c’est tout le contraire: la Chine produit 97% du marché mondial des matériaux semi-conducteurs pour les cellules solaires, 76% des batteries, 84% des pales d’éoliennes.
Tel est le constat du rapport Draghi sur l’économie européenne, qui recommande un investissement massif et, bien sûr, une unité plus grande dans la démarche politique. Il n’y a pas à tergiverser. Le centre de gravité du développement technologique ne se situe plus sur le Vieux Continent. Rappelons qu’au passage du XIXe siècle au suivant, la France à elle seule inventa le moteur électrique, la distribution de l’électricité, l’auto, l’avion, le cinéma, tandis que l’Angleterre créait les chemins de fer, dans la foulée du moteur à vapeur.
Pour reprendre sa deuxième place, il y aurait une solution: transformer l’UE en un seul pays, forcément fédéraliste
Jacques Neirynck
La victoire n’appartiendrait-elle pas de fait aux seuls gros bataillons? Nos deux compétiteurs sont des pays unifiés, qui sont ou deviennent plus peuplés que nous. Dans un grand pays, on trouve statistiquement plus de talents que dans un pays moins peuplé. Le budget public est plus abondant. Il est donc normal qu’une Europe désunie soit moins dynamique que ses concurrents. Pour reprendre sa deuxième place, il y aurait une solution: transformer l’UE en un seul pays, forcément fédéraliste.
Cela semble irréaliste, tant les singularités nationales sont fortes. Comment imaginer qu’un Allemand et un Français puissent partager la citoyenneté d’un seul et même pays? La différence de langues ne crée-t-elle pas l’incapacité de se comprendre? Le Rhin n’est-il pas un fossé infranchissable entre des cultures politiques aussi distinctes?
La réponse est non. Cette prétendue impossibilité est surmontée en Suisse, au sein de laquelle trois grandes cultures européennes coexistent. Sans peine, mais non sans un effort institutionnel compliqué, délicat et fragile. Il ne suffit pas d’avoir une Constitution fédéraliste, encore faut-il la faire fonctionner avec la concordance, la milice, la démocratie directe, la recherche patiente de consensus.
La Suisse semble seule à posséder ces secrets dont l’UE est largement démunie. La Confédération est une sorte d’Europe unifiée en miniature. Or, les secrets se transmettent à voix basse. L’UE ne pourrait-elle devenir un pays que si la Suisse en fait partie? Aussi longtemps qu’elle le refusera, le déclin de l’Europe se poursuivra-t-il? Et donc celui de la Suisse. «Si le grain ne meurt, il ne germe pas.»