Ce serait faire preuve de naïveté de croire que la démocratie s’est répandue pour le seul amour des droits de l’Homme. Elle a surtout démontré longtemps son efficacité exclusive et justifié ainsi son existence. Le monde libre inspiré par les Etats-Unis prospérait, le monde soviétique englué dans l’idéologie marxiste, gouverné par des dictatures oppressives, stagnait dans la pénurie. En somme le bien-être économique était la récompense de la vertu politique et de la modestie économique: le marché fait mieux que le dirigisme, le hasard et la nécessité l’emportent sur la raison.
Or à la surprise générale, la Chine autocratique dément aujourd’hui cette naïve croyance. La réussite n’est pas le résultat d’une quelconque vertu mais d’une stratégie bien pensée: développer la formation et la recherche, soutenir les techniques de pointe, veiller au pouvoir d’achat. Dès lors les institutions démocratiques paraissent moins nécessaires, voire encombrantes. Voltaire disait déjà qu’il préférait le gouvernement d’un seul despote, qui est de temps en temps efficace, à une assemblée de despotes, par définition médiocre en moyenne.
Cela explique le discrédit des institutions héritées des deux siècles précédents. Dans la plupart des pays occidentaux existent des partis d’extrême-droite, opposés au système. Ils recueillent le maximum de suffrages, même si les autres partis s’efforcent de les écarter du pouvoir par la constitution d’un «front républicain». Mais ces partis populistes deviennent suspects de s’arroger le monopole de la gouvernance. La séparation des pouvoirs est remise en cause lorsque les décisions de l’un influent sur un autre, alors que cela est inévitable.
Donald Trump peut librement divaguer, mentir, affoler l’économie et en fin de compte nuire d’abord à son pays, puis au reste de la Terre
Jacques Neirynck
L’événement symbolique a été le refus de Donald Trump d’accepter l’élection de Joe Biden et l’assaut du capitole par des émeutiers. Il s’en est fallu de peu que la nation phare de la démocratie sombre au statut de république bananière. Elle n’en est plus tellement loin. Donald Trump est au pouvoir ce qui signifie que la majorité des électeurs américains lui accordent plus de crédit qu’à une adversaire démocrate. Il peut librement divaguer, mentir, affoler l’économie et en fin de compte nuire d’abord à son pays, puis au reste de la Terre. Il chemine comme un despote inculte, narcissique, nuisible. Dans l’opposition à la Russie, il est manipulé par l’authentique autocrate Vladimir Poutine.
Il apparaît une internationale de l’illibéralisme: alors que les démocraties libérales protègent les droits et libertés individuels, les démocraties illibérales ne le font pas. Dans une démocratie illibérale, les élections sont souvent manipulées ou truquées, servant à légitimer et à consolider le pouvoir en place plutôt qu’à choisir les dirigeants et les politiques du pays. Il en est comme si le peuple des électeurs déposait un fardeau qui dépasse ses forces et s’en remettait à ceux qui le manipulent pour le gouverner à leur guise. La Chine prospère et la démocratie s’étiole. Que peut-on vouloir de plus que le bien-être?