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Il faut de nouvelles conventions de Genève pour l’IA

LA CHRONIQUE DU CLUB DIPLOMATIQUE DE GENÈVE. Marie-Laure Salles plaide en faveur d’une gouvernance mondiale de l’intelligence artificielle.

«C’est à Genève que doit converger une mobilisation diplomatique multilatérale d’envergure.»
KEYSTONE
«C’est à Genève que doit converger une mobilisation diplomatique multilatérale d’envergure.»
Marie-Laure Salles
Geneva Graduate Institute - Directrice
23 avril 2024, 19h00
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L’intelligence artificielle (IA) promet l’imitation, l’augmentation, voire le dépassement de l’intelligence humaine. Les machines peuvent-elles devenir plus intelligentes que les humains? Mythe ou réalité, sur le fond, le débat reste ouvert. Mais la dynamique technologique et économique autour de l’intelligence artificielle transforme d’ores et déjà notre monde en profondeur. Les enjeux sont multiples – et l’angle choisi ici est celui de la géopolitique.

Le développement de l’intelligence artificielle est impossible aujourd’hui sans la production à large échelle de microprocesseurs – et tout particulièrement d’unités de traitement graphique (GPUs). Pour produire ces GPUs, le matériau de base est le microprocesseur ou la puce. Et pour produire la puce avancée qu’exige l’intelligence artificielle, il faut des terres rares. La chaîne d’approvisionnement de ce marché en forte croissance est globale, complexe et géopolitiquement chargée.

Les tensions principales sont de trois ordres. Le marché mondial des GPUs est dominé par quelques grandes firmes américaines (Intel, Nvidia ou AMD). Mais les terres rares se trouvent principalement en Chine alors que la production de semi-conducteurs avancés est fortement dominée par Taïwan. La chaîne de valeur des GPUs suit donc très exactement la ligne de faille géopolitique principale de notre époque – les dynamiques géo-économiques durcissant bien sûr les tensions politiques et sécuritaires de la nouvelle guerre froide.

Un second point de tension provient du profond déséquilibre qui définit, au niveau mondial, le marché de l’IA. Les Etats-Unis sont hyperdominants, la Chine essaie de développer ses capacités propres. Quant à l’Europe, elle n’a jamais su devenir un acteur qui compte alors que le reste du monde n’en a pas les moyens. Une telle situation implique dépendance, fragilité et incertitude pour une majorité de l’humanité et elle aura tendance à accroître l’inégalité économique et géopolitique de manière systémique.

Un troisième point de tension se trouve de la nature des acteurs principaux dans ce nouveau jeu géopolitique. Les acteurs privés, en particulier les grandes firmes surtout américaines, exercent un pouvoir direct sans précédent y compris dans les arènes politiques et géopolitiques.

L’intelligence artificielle doit être et doit rester au service de l’humanité, de ses droits tels qu’ils sont définis dans la déclaration universelle des droits humains

Marie-Laure Salles

C’est dans un tel contexte que se posent les questions d’usage de cette technologie et de sa (non) gouvernance. Toute technologie est potentiellement duale dans son usage. On peut la mobiliser pour améliorer la condition humaine. Son usage peut au contraire réduire, dominer, menacer voire détruire. La puissance actuelle mais surtout potentielle de l’intelligence artificielle rend le dilemme particulièrement intense.

Des garde-fous sont donc indispensables – ce qui implique une gouvernance responsable. Les initiatives en ce sens se multiplient et les grands principes qui émergent sont assez clairs. Une gouvernance responsable devrait être mondiale. Elle se doit d’être, dans son processus de développement comme dans sa projection, aussi inclusive que possible. Il lui faut affirmer que l’intelligence artificielle doit être et doit rester au service de l’humanité, de ses droits tels qu’ils sont définis en particulier dans la déclaration universelle des droits humains, de son bien-être et donc du biotope naturel dont l’humanité dépend. Elle doit aussi créer des mécanismes et des cadres permettant la responsabilisation effective des acteurs de la chaîne de valeur. Plus difficile sans doute mais pourtant clé, une gouvernance responsable devrait pouvoir poser la question de la structure profondément déséquilibrée aujourd’hui de cette industrie.

L’intelligence artificielle ne pourra jamais être un outil d’inclusion et de progrès si l’inclusion et le progrès ne sont pas structurants de toutes les étapes de la chaîne de valeur. Des algorithmes produits uniquement soit dans la Silicon Valley, soit en Chine, ne pourront jamais servir les besoins de notre humanité dans sa diversité. C’est à Genève que doit converger une mobilisation diplomatique multilatérale d’envergure. L’urgence et l’importance des enjeux convoquent l’image de nouvelles Conventions de Genève!