Les discussions actuelles entre la Suisse et l’Union européenne (UE) aboutissent à une posture de donnant-donnant: une clause de sauvegarde unilatérale permettant à la Suisse de contrôler son immigration provenant de l’UE; l’abandon de taxes d’inscriptions triplées pour les étudiants européens dans les hautes écoles suisses. Cela laisse un goût de marchandage de tapis: qu’est-ce qui peut bien mettre sur le même plan ces deux exigences apparemment disparates?
En fait elles ne le sont pas tellement. Les deux écoles polytechniques fédérales suisses sont attractives pour les étudiants européens par leur qualité unique au point que 60% des étudiants de l’EPFL sont étrangers. Aucune grande école française n’est comparable parce que la recherche n’y est pas au même niveau. L’encaissement d’une taxe triple pour les étudiants étrangers est absurde: on ne recrute pas des futurs chercheurs sur la base de la fortune de leur famille, mais sur leur seule capacité personnelle. Berne peut et doit donc abandonner cette exigence.
Dans le marchandage, la Suisse gagnerait la possibilité (toute théorique) de stopper l’immigration européenne. Car l’objectif est en réalité de se prémunir contre une votation populaire sur le sujet, où la position de l’UDC risquerait de l’emporter. Il n’a en revanche aucune logique propre. Comme la population suisse, laissée à elle-même face à sa dénatalité, entrerait en voie de dépopulation, il est obligatoire d’admettre de l’ordre de 40.000 immigrants intégrés définitivement par an, pour garantir la pérennité du système de pensions, fournir de la main-d’œuvre aux entreprises et, surtout, recruter des cadres et des chercheurs pour une économie de pointe, qui ne peut se satisfaire des seules ressources locales. D’où l’intérêt aussi des étudiants étrangers: le lien est établi entre les deux termes de la négociation.
La Suisse ne veut, ni ne peut, freiner l’immigration européenne et elle n’a aucun avantage à écarter des étudiants européens. C’est du perdant-perdant
Jacques Neirynck
Une fois que l’on a discerné ce que les termes de l’échange signifient réellement, on ne peut manquer d’être frappé par leur irréalisme: la Suisse ne veut, ni ne peut, freiner l’immigration européenne et elle n’a aucun avantage à écarter des étudiants européens. C’est du perdant-perdant.
Au lieu de discuter de propositions minuscules, déraisonnables et nocives, ne vaudrait-il pas mieux envisager des liens plus étroits entre la Suisse et les Vingt-Sept à une époque où la guerre des armes avec la Russie et la compétition économique avec les Etats-Unis et la Chine constituent les véritables problèmes du continent? Par sa position géographique et sa participation à trois cultures, la Suisse constitue le prototype d’une Europe confédérale, unifiée en un seul pays, seule ouverture à terme pour demeurer compétitive.
On a parfois comparé l’Europe à des herbivores voisinant avec des carnivores. Dans cette métaphore, la Suisse serait comparable au plus désarmé des herbivores, lente dans ses mouvements, démunie d’une défense (1% du PIB en comparaison d’une Pologne à 4%). Au lieu de perdre du temps à un marchandage sans aucun sens, ne pourrait-on améliorer la collaboration entre l’Otan et l’armée suisse, la relation entre l’euro et le franc, restaurer pleinement Erasmus et Horizon, expliquer clairement aux électeurs que la Suisse n’a aucun intérêt à se claquemurer.