On recrute sur les compétences techniques, mais on licencie à cause des compétences sociales. Ce paradoxe, bien connu des ressources humaines (RH), reflète une déconnexion profonde entre les priorités affichées et les réalités du terrain. Dans un monde professionnel obsédé par les KPIs (Key Performance Indicators), les KBIs (Key Behavorial Indicators) ouvrent une nouvelle voie: celle d’une performance ancrée dans des comportements humains durables et collaboratifs!
L’exemple de BNP Paribas
Lors de sa campagne de recrutement 2023-2024, BNP Paribas a privilégié des qualités humaines comme l’empathie et la capacité à instaurer des relations de confiance pour des postes de conseillers clientèle, même sans expérience bancaire préalable.
Selon le rapport Future of Jobs 2023 du Forum économique mondial (WEF), des qualités comme la pensée analytique, le leadership et l’influence sociale sont devenues des priorités pour les employeurs face à l’automatisation et à l’évolution rapide des marchés. Ces compétences, plus difficiles à automatiser et critiques pour l’adaptabilité, reflètent une transition globale vers des stratégies de recrutement basées sur les capacités humaines plutôt que les seules qualifications techniques.
Les KBIs offrent une nouvelle grille de lecture. Mais cette boussole managériale est-elle une véritable révolution ou un miroir aux alouettes? Des notions comme l’écoute active, la gestion des conflits, le feedback constructif ou encore le sens de l’engagement, longtemps reléguées au second rang, apparaissent désormais comme des leviers stratégiques. L’époque des indicateurs purement financiers semble révolue. Celle des comportements responsables et inspirants arrive… et pourtant!
Un enthousiasme prématuré
En théorie, les KBIs représentent une avancée: ils replacent l’humain au cœur de la performance. En pratique, leur mise en œuvre dévoile des limites inquiétantes. D’abord, la tentation de simuler les comportements attendus est réelle. Pourquoi cultiver une écoute sincère lorsque l’apparence d’écoute suffit à cocher une case? Ensuite, le risque de dérive vers une culture du contrôle est omniprésent. Mesurer les comportements, aussi noble soit l’intention, peut rapidement basculer vers un management intrusif, voire oppressif.
La question fondamentale demeure: peut-on réellement standardiser des éléments aussi subtils que la collaboration ou l’engagement? A vouloir tout mesurer, ne risque-t-on pas d’écraser l’authenticité et la spontanéité, deux piliers de la dynamique humaine?
Des conséquences économiques stratégiques
A une échelle macroéconomique, cette approche a des implications stratégiques lourdes. Les investisseurs, séduits par des rapports vantant l’alignement des comportements avec les objectifs stratégiques, risquent de soutenir des entreprises dont la culture réelle est dysfonctionnelle. A terme, une réelle crise de réputation est en jeu!
En prétendant mesurer l’incommensurable, les KBIs risquent de détourner l’attention des vrais enjeux: une culture d’entreprise authentique, des valeurs incarnées et une véritable intégration de l’humain dans sa complexité.
Vers une approche plus nuancée
L’idée d’utiliser les comportements comme levier stratégique n’est pas dénuée de sens. Mais la fascination pour la mesure est une impasse. Si les décideurs souhaitent réellement transformer leurs organisations, ils devront dépasser cette obsession du quantifiable pour adopter une approche contextuelle et nuancée. Cela implique de redéfinir la notion même de performance en y intégrant des dynamiques qualitatives, difficilement mesurables mais profondément impactantes.