En 2018, le conseiller national Jürg Grossen a déposé une initiative parlementaire pour que soit accordée la qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante en tenant compte de la volonté des parties. Les Chambres y ayant finalement donné suite, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national vient de mettre en consultation jusqu’au 1er novembre un projet de modification des règles du droit des assurances sociales en la matière.
Il s’agit maintenant d’examiner soigneusement ce projet, avec les variantes étudiées et la solution retenue. Si l’on voit d’un bon œil la concrétisation dans la loi des principaux critères de la pratique actuelle (degré de subordination d’un point de vue organisationnel et risque entrepreneurial), la référence à la volonté des parties ouvre en revanche la porte à quelque chose de très nouveau et plutôt inapproprié.
L’argumentation pointe du doigt le fait que certaines personnes souhaitant être reconnues comme indépendantes se retrouvent considérées comme salariées du point de vue des assurances sociales ou de la législation sur le travail. Cela est dû au fait que la loi actuelle définit le statut d’indépendant par la négative: est considéré comme tel le travailleur qui n’exerce pas une activité salariée.
C’est une formulation plutôt libérale, qui implique que les seules personnes pouvant se voir refuser - par les caisses de compensation AVS, respectivement les tribunaux - le statut d’indépendant sont celles qui ont manifestement un lien de dépendance à l’égard d’une autre personne physique ou morale agissant comme employeur. L’enjeu réside donc dans l’existence ou non de ce lien de dépendance, qui ne résulte pas des déclarations des parties mais d’une constatation objective des faits.
La plupart des cas pouvant se révéler ambigus sont tranchés par la jurisprudence, qui est capable de s’adapter rapidement à l’évolution des modèles économiques
Olivier Rau
A défaut d’une description précise dans la loi, c’est la jurisprudence qui a été amenée à définir les critères constitutifs d’un lien de dépendance. Ces critères sont principalement ceux de la dépendance économique et du lien de subordination. La plupart des cas pouvant se révéler ambigus sont tranchés par la jurisprudence, qui est capable de s’adapter rapidement à l’évolution des modèles économiques.
Si une approche libérale des conditions de travail est bien souhaitable, cela ne doit pas conduire à une forme d’anarchie ou à une remise en question de l’égalité de traitement des activités de même type. En l’occurrence, les cas litigieux concernent souvent des personnes qui cherchent à contourner la législation sur le travail et les obligations en matière d’assurances sociales.
Il peut ainsi être tentant, pour un employeur, de faire passer des employés pour des indépendants afin d’échapper aux charges sociales. Un employé peut aussi trouver des avantages à se présenter comme indépendant, mais ces avantages se révèlent parfois de courte durée et les faux indépendants finissent alors par se retourner contre leurs employeurs pour revendiquer leur statut de salariés.