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Les contagieuses et tardives volte-face des banques centrales

La configuration économique justifie un resserrement pour s’assurer d’une inflation suffisamment proche de l’objectif des 2%. Un resserrement qui se révélera anxiogène.

Frédéric Leroux
Carmignac - Membre du comité d’investissement stratégique
03 mars 2022, 14h54
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La persistance de l’inflation en 2022 devrait accroître les incertitudes sur les taux d’intérêt et, par conséquent, entraîner d’importantes variations en Bourse. Cette volatilité sur les marchés financiers devrait néanmoins créer des opportunités pour les investisseurs.

Depuis plus d’une décennie, l’absence de dynamisme sur le front des prix et l’atonie persistante de la croissance économique ont offert une très grande liberté d’action aux banques centrales. Les grands argentiers de la planète ont en effet pu soutenir l’activité économique dès que le besoin s’en faisait sentir par des baisses de taux d’intérêt ou des achats d’actifs financiers à l’aide de politiques qui répondaient principalement aux attentes ou aux excès des investisseurs, sans autre contrainte que leurs propres besoins.

L’inflation «décide» de la politique des banques centrales – la stabilité des prix occupe une place centrale; transiger avec l’inflation, c’est se mettre hors la loi. La Fed et la BCE viennent d’ailleurs de passer d’une position de déni sur l’inflation à des annonces très fortes en matière de hausses de taux d’intérêt afin de lutter contre l’envolée des prix. Ce retour de l’inflation comme déterminant premier des politiques monétaires a deux conséquences principales:

- Une incertitude accrue à l’égard de l’évolution des taux d’intérêt et ses conséquences sur la volatilité des marchés financiers. La volte-face de la Fed et de la BCE n’est qu’un signe avant-coureur de l’imprévisibilité déstabilisante de l’inflation et de la difficulté à la juguler en suivant un processus continu, normé. Attention, la volatilité est de retour!

- Les banques centrales pourraient devoir retirer les liquidités dont elles irriguent les marchés financiers depuis des années alors même qu’un ralentissement se profile ou se développe. Et selon toute vraisemblance, ce serait ce vers quoi l’on se dirige aux Etats-Unis aujourd’hui et, peut-être, en Europe demain.

La conjoncture américaine présente en effet un dilemme majeur pour la Fed. D’un côté, le rythme de la croissance économique devrait ralentir à un plus modeste 2% au dernier trimestre 2022. Et de l’autre, l’inflation pourrait rester jusqu’en mars au-dessus de 7% avant de retomber autour de 3% en fin d’année, un niveau toujours trop élevé.

«Quantitative tightening»

Cette configuration économique justifie un resserrement monétaire pour s’assurer d’une inflation suffisamment proche de l’objectif des 2%. Or, un tel resserrement, dans un contexte long terme où le consensus de marché ne croit ni à une inflation durablement très éloignée de sa cible ni à une croissance durablement vigoureuse, sera anxiogène.

Parallèlement à ses relèvements de taux à court terme, la Fed va aussi vouloir réduire rapidement son portefeuille d’obligations (quantitative tightening) pour faire également remonter les taux longs afin d’éviter une inversion de la courbe des taux. L’enjeu est de taille pour la banque centrale américaine, qui a notamment besoin de refroidir le marché de l’immobilier.

De nombreux signes de surchauffe aux Etats-Unis

Le marché de l’immobilier résidentiel y est devenu de plus en plus spéculatif avec la participation croissante d’investisseurs en recherche de rendement dans un environnement de taux très bas, au grand dam des personnes qui cherchent à se loger.

Nous ne saurions balayer d’un revers de la main le scepticisme du consensus de marché à l’égard de la soutenabilité de l’inflation américaine. Les craintes déflationnistes qui ont animé les marchés aux cours de la décennie passée sont encore très présentes malgré l’épisode inflationniste que traverse l’économie mondiale aujourd’hui. Même si la perspective du retour de l’inflation vers 2,5% dans les deux ans est crédible, celle-ci n’intègre pas quelques inflexions structurelles potentiellement inflationnistes comme le prix de l’énergie, la réduction du taux d’épargne pour cause démographique ou les relocalisations industrielles programmées.

Le radical et récent changement de ton de Christine Lagarde ouvre la voie à un possible resserrement monétaire dès cette année. On peut toutefois s’interroger sur un tel changement alors que l’essentiel de l’inflation européenne aujourd’hui a une cause sur laquelle la BCE n’a aucune prise: les prix de l’énergie.

Anticipe-t-elle de vindicatives négociations salariales à travers le Vieux Continent qui conduiront l’Europe vers la dynamique inflationniste américaine? La crainte semble fondée. Méfions-nous de l’eau qui a dormi trop longtemps. Mais gardons d’abord un œil attentif sur la situation américaine qui sera déterminante pour la politique monétaire européenne.

Cet environnement promet de rendre l’année qui commence volatile et passionnante, mais il devrait aussi offrir des opportunités: plus en phase avec la vocation de gérant actif d’une banale et unique décision: rester passivement investi.