Alors que le premier semestre 2022 s’est soldé par des pertes sévères pour les détenteurs d’obligations, la semaine écoulée est marquée par un reflux marqué des rendements sur les marchés occidentaux. L’inflation fait la une des médias, mais la structure des taux d’intérêt en dollar s’est brutalement enfoncée sous le poids de l’accumulation des risques de récession. Le rendement du T-Note à 10 ans est tombé vendredi à 2,8%, bien loin du sommet de 3,5% entrevu deux semaines auparavant. Le déclin du rendement du T-Note à 5 ans avoisine 50 points de base malgré le rythme trépidant de l’inflation et la posture «hostile» de la Fed qui s’est embarquée dans un cycle de resserrement monétaire agressif.
Le déclin marqué des rendements en dollars US traduit une réévaluation à la hausse des risques de récession et une révision à la baisse des anticipations d’inflation pour les années à venir. Le taux d’inflation «breakeven» qui établit une équivalence de rendement entre T-Notes et TIPS à 5 ans est tombé à 2,6% après avoir culminé à 3,6% en avril. L’inflation attendue pour les 5 années suivantes s’établit désormais à 2,1%, soit un rythme conforme à l’objectif visé par la banque centrale américaine.

Le rétablissement spectaculaire des emprunts du Trésor US est étayé par plusieurs indicateurs qui traduisent l’amorce d’un reflux de l’inflation et une dégradation sensible de la marche des affaires. L’indice ISM consacré au secteur manufacturier a en effet chuté de 56,1 en mai à 53 en juin (les sous-indices consacrés aux entrées de commande et à l’emploi s’inscrivent en dessous de 50, signalant une contraction). L’enquête suggère par ailleurs que les conditions d’approvisionnement s’améliorent et que les pressions inflationnistes s’atténuent. L’indice de prix lié aux dépenses de consommation est plutôt rassurant, à la différence du CPI qui avait fourni au FOMC un prétexte pour relever le taux des «Fed funds» de 0,75%. Hors énergie et alimentation, l’indice affiche une augmentation modérée de 0,3%, pour une progression annuelle qui a reflué à 4,7% (contre 5,3% en février).
François Christen
Si les emprunts du Trésor se reprennent, les obligations d’entreprises sont pénalisées par l’augmentation des risques de récession. Particulièrement malmené, le segment «High Yield» ne bénéficie pas de la décrue des taux d’intérêt qui est occultée par un creusement des spreads (650 points de base en moyenne!). La sanction est moins sévère sur le segment «High Grade» où le spread moyen a néanmoins atteint 180 points de base.
Les marchés européens ont calqué leurs évolutions sur les Etats-Unis. La courbe des rendements en euros affiche un repli d’environ 15 points de base à 2, 5 et 10 ans d’échéances. Le rendement du Bund allemand à 10 ans est ainsi tombé de 1,78% à 1,25% en quelques sessions alors que la BCE s’apprête à prendre un cap restrictif. Le bon comportement de la dette italienne mérite d’être souligné dans un contexte peu favorable aux actifs risqués, l’engagement de la BCE de contenir la fragmentation du marché des capitaux en euros est jugé crédible, pour l’heure. L’actualité conjoncturelle est mitigée. L’indice de confiance de la Commission européenne n’a cédé qu’un point pour s’établir à 104 en juin et le taux de chômage est tombé à 6,6% en mai – un niveau sans précédent dans la zone euro. Bien que l’inflation culmine à 8,6% en glissement annuel, la progression de l’indice hors énergie, alimentation, alcool et tabac s’est révélée modeste (0,2% mensuel, 3,7% annuel).
Le repli brutal des rendements marque une rupture dans le «régime de covariance» entre actions et obligations (de première qualité). La baisse concomitante de deux classes d’actifs endurée au premier semestre pourrait faire place à des performances divergentes, quelle que soit l’issue du resserrement monétaire entrepris par les banques centrales.