Après avoir brièvement repris son souffle, le bitcoin est reparti dans sa course aux records, franchissant pour la première fois de son histoire la barre symbolique des 41'000 dollars. Dans les salles de marché, on entend dire que nombre d'investisseurs ont profité du récent accès de faiblesse du cours pour s'engager dans la monnaie virtuelle. Le phénomène soutient le cours et attire parallèlement de plus en plus de particuliers désireux de participer au prochain bond du titre. Faut-il pour autant succomber à cette euphorie?
Trois responsables des investissements membres de l’Isag (Investment Strategists Association of Geneva) Mourtaza Asad-Syed (Landolt & Cie), Fabrizio Quirighetti (Decalia) et Eric Vanraes (Banque Eric Sturdza) apportent des réponses.
La cryptomonnaie s’inscrit en hausse de 175% depuis le début de 2020, avec une envolée de plus de 40% depuis le 21 octobre 2020, dépassant les 20.000 dollars. Est-ce un «or numérique» ou un actif à risque?
Fabrizio Quirighetti: C’est plus un actif à risque, mais qui bénéficie du même terreau fertile que l’or: la défiance envers les devises et les taux d’intérêt réels négatifs. Par contre, la valeur du bitcoin en termes de capitalisation boursière est beaucoup plus faible que celle du métal jaune. Si le bitcoin équivaut plus au moins à un Roche ou Nestlé (ndlr: quelques centaines de milliards de dollars), l’or c’est aujourd’hui 12 trillions de dollars (ndlr: 12.000 milliards). On compare donc un lac avec un océan. Cette histoire du bitcoin, c’est surtout une mode.
Mourtarza Asad-Syed: Je rejoins Fabrizio. Les ordres de grandeur nous donnent la vérité. La masse de bitcoin est valorisée à 300 milliards de dollars dans son ensemble, et 500 milliards pour toutes les cryptomonnaies. Cela revient aussi à dire que c’est la valeur de Tesla. Et est-ce que la marque d’Elon Musk doit être une classe d’actifs? La réponse est non. Est-ce que le bitcoin doit être une classe d’actifs? Non plus.
Cela dit, le bitcoin reste un phénomène social. Le bitcoin est un ticket de loto, disponible à tous. Il porte une histoire technologique. Il attire les personnes qui veulent vite devenir riches en achetant un billet de loterie. Il y a une vraie probabilité de gagner, mais qui est extrêmement faible. Et en moyenne, comme pour les jeux de hasard, ces personnes vont perdre de l’argent.

N’y a-t-il personne pour défendre le bitcoin? Qu’en pensez-vous, Eric Vanraes?
Eric Vanraes: Mourtaza a parfaitement résumé la situation. C’est quand même la seule fois dans ma vie où je me suis fait réprimander par mon fils de 17 ans simplement parce que je l’avais empêché d’acheter du bitcoin. Il m’a dit «à cause de toi je ne suis pas millionnaire maintenant». Et le pire, c’est que c’est vrai.
En parlant avec des spécialistes, je sais que par le passé la plupart des transactions sur le bitcoin venaient de Chine. Elles étaient effectuées par des personnes qui avaient une certaine surface financière, et qui avaient trouvé une manière intelligente de sortir leurs avoirs par cette cryptomonnaie.
M.A-S: Intelligente ou illégale? On sait que le bitcoin a facilité les transferts financiers par la criminalité internationale. En particulier quand on regarde la domiciliation des fermes à bitcoin, elles se trouvent en Russie, en Chine ou en Asie du Sud-est. Il est évident que cela permet de faire des transferts d’actifs qui échappent à la surveillance des autorités.
L’autre point que je voudrais souligner, c’est l’antinomie entre la valeur du bitcoin et l’usage de cette cryptomonnaie. Le bitcoin n’est pas adapté aux échanges monétaires mondiaux, il a peu de personnes aujourd’hui qui achètent quoique ce soit dans leur vie quotidienne avec le bitcoin. Ils l’utilisent comme un actif.
Or, pour qu’une monnaie devienne utilisée, il faut que les acteurs soient prêts à s’en défaire pour acheter quelque chose avec. Si cette monnaie a tellement de valeurs ou présente une telle perspective d’appréciation, personne ne vendra son bitcoin pour acheter de la pizza. C’est cette antithèse qui me fait penser qu’à terme cette cryptomonnaie ne peut marcher.
(réponses extraites du débat organisé le 14 décembre par L'Agefi)
