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Jerome Powell face au dilemme croissance-inflation à Jackson Hole

Le président de la Fed n’oublie pas ses racines pro-croissance, mais celles-ci restent encore bien enfouies. Il faudra encore un peu de patience avant un vrai pivot de la politique monétaire de la Fed.

25 août 2022, 21h30
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Le grand rendez-vous de politique monétaire américaine de fin d’été, au pied des Rocheuses aux Etats-Unis, devrait encore une fois mettre en exergue le fameux dilemme: croissance ou inflation. La réunion du mois de juillet de la Réserve fédérale avait semblé marqué une inflexion avec, soudainement, une prise en compte des potentiels risques sur la croissance d’un resserrement monétaire trop marqué, même si la Fed avait poursuivi avec une seconde hausse «jumbo» de 0,75%.

Deux thèses dans le marché monétaire semblent désormais s’affronter. D’un côté, le meeting au ton «dovish» du mois de juillet était juste une digression temporaire de la Fed: l’inflation reste élevée et les chiffres de l’emploi restent solides, il est trop tôt pour le pivot. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’allaient la plupart des commentaires des présidents régionaux de la banque centrale américaine au mois d’août, influençant certainement les anticipations du marché. Pour les autres, les grains d’un pivot semblent plantés.

Nous pensons toutefois qu’il y a le début d’une mue à la Fed, mais celle-ci restera progressive. Le plus important est le pivot en cours dans sa fonction de réaction avec davantage de prise en compte des indicateurs «avancés» du cycle, et non plus seulement les indicateurs «retardés», y compris l’emploi lui-même. En juillet, son président Jerome Powell a remis au goût du jour la notion de «lag» (effet retard) de la politique monétaire sur l’économie. Ce thème devrait rester clé à Jackson Hole. Powell devrait se projeter déjà en 2023, et il ne peut ignorer le risque de 50% de récession d’après le consensus de marché, qui, dans l’histoire récente, veut dire une forte chute de l’inflation dans la foulée.

Le marché boursier comme signal secondaire

Plus précisément, nous pensons que la Fed va prendre davantage en compte les indices de sentiment des affaires tel que l’enquête ISM, ainsi que les chiffres (très mauvais récemment) de l’immobilier résidentiel, souvent considéré comme le «canari» pour l’économie américaine. Bref, la vue d’ensemble de l’inflation devrait être davantage holistique que le focus un peu étriqué ces trois derniers mois sur juste l’inflation «spot», elle-même exagérée par les matières premières et les loyers, hors de son contrôle. Il pourrait y avoir une constante par rapport aux derniers meetings: le marché boursier devrait rester un signal secondaire pour Powell.

Jerome Powell devrait rester vague sur les prochaines échéances, mais pourrait néanmoins indiquer qu’une modulation des hausses de taux est à venir. Nous nous attendons à +0,50% lors de la réunion du mois de septembre, même si une autre hausse de 0,75% est possible si la modération attendue du marché de l’emploi n’a pas lieu tout de suite. Par la suite il est envisageable que la Fed baisse le rythme à +0,25% par réunion.

Des scénarios et des superstitions

A moyen terme, deux scénarios s’esquissent. Le premier – et notre scénario central – c’est une baisse de l’inflation à cause de la baisse de régime économique et donc la baisse de la demande, elle-même aidée par la baisse des prix énergétiques. A noter que les Etats Unis et leur production de 12 millions de baril par jour de pétrole ayant là un vrai avantage compétitif par rapport à l’Europe. La Fed pourrait commencer à réfléchir à une pause prochaine des hausses, potentiellement pour la fin d’année, avec l’argument de laisser un temps de digestion à l’économie. Il est néanmoins encore trop tôt de parler de baisses de taux.

Le second scénario est celui d’une Réserve fédérale «stop and go» dans un contexte d’enclenchement de la boucle prix-salaires avec des effets retards incontrôlables sur l’inflation, et encore pire si la géopolitique mondiale reste chahutée et les matières premières s’emballent à nouveau. Dans ce scénario, la Fed doit garder son agilité et reprendre les hausses de taux en 2023 après une courte pause. L’on note que les gains salariaux sont certes élevés aux Etats Unis, mais pour l’instant semblent surtout concentrés dans certains services.

Une dernière réflexion est qu’il existait une superstition tenace à la Fed d’éviter de monter le taux directeur au-dessus du taux d’intérêt à 10 ans, cette inversion de courbe ayant été dans le passé vu comme un déclencheur de récession (et, par la suite, menant à un revirement monétaire). Le palier sera probablement franchi dans les prochaines semaines. Powell ne semble pas vraiment s’en soucier pour le moment, et ce serait une surprise de voir une mention de la courbe des taux dans ses propos. L’on verra rapidement qui des modèles économiques, du bon sens pragmatique du président de la Réserve fédérale américaine ou des superstitions historiques finira par avoir raison.