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Le rôle des négociants dans la réduction des émissions de CO2 dans le transport maritime

Le rôle des négociants dans la réduction des émissions de CO2 dans le transport maritime
Sebastien Landerretche
Ocean Freight, Louis Dreyfus Company - Global Head
15 mars 2021, 0h01
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L'industrie du transport maritime entre dans une décennie critique caractérisée par des changements tectoniques pour technologies orientées sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre, les chaînes logistiques et la structure du marché. Alors que le monde entier est confronté à la pandémie de COVID-19, le changement climatique continue de poser des menaces croissantes auxquelles nous devons faire face avec la même vigueur. Et tout comme la pandémie exige une coopération public/privé renforcée au niveau mondial, il en va de même pour les efforts de réduction de CO2 du transport maritime, afin d'obtenir des résultats concrets.

Selon la dernière étude de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) sur les gaz à effet de serre (GES) publiée en 2020, les émissions de GES du transport maritime (exprimées en équivalent CO2) sont passées de 977 millions de tonnes en 2012 à 1076 millions de tonnes en 2018, et devraient encore augmenter de 50% (par rapport aux niveaux de 2018) d'ici 2050 et ceci malgré les gains d'efficacité, qui sont entièrement compensés par la croissance continue des activités de transport maritime. Dans ce contexte, les objectifs de réduction des émissions fixés par l'OMI (réduire l'intensité de carbone d'au moins 40% d'ici 2030 par rapport à 2018, et les émissions annuelles totales de GES d'au moins 50% d'ici 2050 par rapport à 2008) pourraient sembler impossibles à atteindre, à moins que des mesures drastiques ne soient prises dès maintenant. Bien qu'il ait été légitimement reconnu comme le moyen de transport le moins dommageable pour l'environnement, le transport maritime a entendu l'appel pour un changement plus radical et a fait des progrès grâce à des initiatives collaboratives de réduction des émissions, et certains opérateurs privés réclament même maintenant un horizon plus ambitieux de zéro émission de carbone. Et pourtant, le secteur s'efforce aujourd'hui de trouver une voie claire pour l'avenir.

Commencez par le plus simple à atteindre

La théorie du changement nous apprend à observer et à agir en premier lieu sur notre sphère de contrôle et d'influence. Dans cette optique, les exploitants de navires ont la possibilité de réduire la consommation de carburant et les émissions des navires qu'ils affrètent aux armateurs, en maximisant l'efficacité technique et opérationnelle au cours des voyages. L'efficacité technique découle principalement de la conception hydrodynamique d'un navire: forme de la coque, hélice, peintures antisalissure, dispositifs d'économie d'énergie (rotors ou voiles à propulsion éolienne et systèmes de circulation de bulles d'air sous la coque pour réduire les frottements). Certains de ces techniques et dispositifs peuvent être adaptés au cours de la vie d'un navire et peuvent constituer une transition vers les objectifs de 2030 pour les navires conventionnels vieillissants. D'autres gains d'efficacité énergétique sont liés aux opérations quotidiennes d'un navire : routage météorologique optimal, adaptation de la vitesse à l'état de la mer et navigation basée sur une meilleure compréhension des courants. Quel est le point commun de ces efforts? La coopération entre les opérateurs et les armateurs et une plus grande utilisation de la numérisation grâce à des mesures basées sur des capteurs et à la modélisation informatique.

La collaboration est la clef

La transition écologique d'aujourd'hui exige un effort global et intersectoriel, certes avec une forte impulsion des armateurs, des transporteurs, des affréteurs et des opérateurs, dont l’impact dans toute leur chaîne de valeur fait l'objet d'un examen minutieux et dont les bilans solides attirent les éco-obligations et d'autres sources de financement. Pourquoi ? Parce que les navires constituent déjà des actifs et que la responsabilité de tous ces acteurs se fait au long de toute la chaîne de valeur. Le besoin de coopération des acteurs doit également concerner les marins, dont le bien-être et la formation sont les conditions d'un transport maritime sûr et durable, d'autant plus que la crise sanitaire en cours a des conséquences sur les changements d'équipage comme l'indique la déclaration de Neptune, qui concerne l'ensemble de l’industrie.

La déclaration harmonisée des émissions mondiales prévue par la Sea Cargo Charter encourage la transparence et la responsabilité en matière de baisse des gaz à effet de serre. C'est également l'occasion pour chaque affréteur de travailler sur les causes, de déterminer les modes de consommation des navires et d'améliorer son empreinte écologique grâce à l'amélioration des performances des moteurs. Toutefois, si des gains d'efficacité à court terme sont nécessaires, ils ne peuvent améliorer les profils d'émissions de plus de 15 à 20% au total, et sont donc insuffisants pour s'attaquer au véritable passage des combustibles fossiles à la décarbonisation. Chaque transition a des coûts et nécessite de la visibilité, des considérations auxquelles un mécanisme équitable de tarification du carbone et des réglementations applicables à l'échelle mondiale doivent répondre.

Combler l'écart de compétitivité en matière de faibles émissions de carbone

Des études suggèrent que la décarbonisation (baisse du CO2) complète du transport maritime d'ici 2050 nécessiterait une somme estimée entre 1,4 et 1,9 trillion de dollars. Depuis des années, l'industrie du transport maritime connaît un faible retour sur le capital investi et pourtant on s'attend à ce qu'elle transforme complètement son carburant, ses conceptions et ses infrastructures terrestres : un défi pour le moins difficile à relever ! La fragmentation de l'industrie complique également l'élaboration d'un plan d'action à l'échelle du secteur pour l'évolution vers des carburants sans carbone. Dans cette optique, la réduction de l'écart de compétitivité des combustibles non fossiles nécessite un système mondial concerté de taxe carbone pour financer la recherche et le développement (R&D), améliorer les conditions de concurrence et soutenir les communautés les plus touchées par le changement climatique.

Prix du carbone au niveau mondial

Les réformes de l'OMI sont mises au défi par un Parlement Européen plus réactif, qui a déjà approuvé à partir de janvier 2022 la prise en compte des émissions des navires dans le système du commerce des émissions de l'UE. La régionalisation des taxes sur le carbone ne créera pas les conditions optimales pour l'harmonisation des bonnes pratiques selon les normes mondiales, et augmentera les risques d’un système de marché à deux niveaux. En 2019, la Chambre internationale de la marine marchande a proposé un système de taxe carbone basé sur la contribution des compagnies maritimes du monde entier à hauteur de 2 USD par tonne de combustible marin consommée (estimée à environ 300 à 350 millions de tonnes par an pour tous les navires confondus). Cette taxe permettrait de financer un programme de R&D supervisé par les États membres de l'OMI. Bien que l'idée d'une taxe carbone obligatoire au niveau mondial soit pertinente, une taxe plus importante sur les combustibles à forte intensité de carbone devrait être envisagée pour entraîner le changement radical nécessaire pour parvenir à la décarbonisation. La récente proposition d'un programme de "réduction de taxe" autofinancé est particulièrement intéressante. La "réduction de taxe" est généralement considérée comme le meilleur système pour changer les coûts négatifs, dans ce cas en faisant payer une redevance aux utilisateurs de combustibles à forte intensité de carbone tout en subventionnant les navires dont les émissions de CO2 sont inférieures à un niveau de référence convenu, qui devrait refléter (voire dépasser) le but requis par l'OMI en matière de CO2. Selon l'étude de l'université Texas A&M parrainée par Trafigura, une taxe carbone de l'ordre de 250 à 300 dollars par tonne de CO2 serait nécessaire pour assurer une transition de décarbonisation évolutive et compétitive en termes de coûts tout au long de la chaîne d'approvisionnement en combustible marin, du puits (extraction/production) à l'hélice (combustion).

Le rôle central de l’Organisation Maritime internationale (OMI)

L'OMI est la seule organisation qui est en mesure d'organiser et de mettre en œuvre une approche véritablement globale, elle doit veiller à ce que la taxation avec remise (ou réduction de taxe) finance les efforts de R&D tout en soutenant les communautés vulnérables au changement climatique.

Il y a un an, le passage réussi à la réglementation sur le mazout à teneur maximale en soufre a démontré l'importance des efforts collectifs et a souligné le rôle central de l'OMI pour le respect et l'application des solutions dans la lutte contre les défis climatiques mondiaux - et ce d'autant plus que les défis sont aujourd'hui multiples et de plus en plus urgents à résoudre.

La Suisse : la nouvelle impulsion influente à l'OMI ?

La Suisse, qui abrite certains des plus grands opérateurs et affréteurs privés du monde, est devenue une plaque tournante et une force d'innovation dans le domaine du transport maritime. Plusieurs entreprises basées en Suisse, souvent membres de la STSA, ont été à l'origine et ont conduit ou ont soutenu un certain nombre d'initiatives globales récentes en matière de transport maritime durable, telles que la Sea Cargo Charter, Poseidon Principles, la Neptune Declaration, la proposition de taxe carbone de l'ISC, la proposition de taxation avec remise partielle et l'Initiative pour la transparence du recyclage des navires de la Sustainable Shipping Initiative. La communauté maritime suisse pourrait être le fer de lance d'une coalition mondiale pour la décarbonisation, avec le soutien de la STSA et de l'Office suisse de la navigation, en pressant l'OMI d'en faire une obligation juridique mondiale. Compte tenu de l'attention croissante portée aux questions climatiques par le public, les financiers et les gouvernements eux-mêmes, qui fixent de nouveaux objectifs audacieux (notamment la neutralité carbone de la Chine en 2060, elle-même la première puissance maritime), s'aligner sur un programme concret de taxe carbone et obtenir un soutien diplomatique décisif à l'OMI reste une priorité urgente pour les mois à venir.

L'histoire s'accélère. Nous devons nous engager dans une transformation collective avant de pouvoir changer. Sur la voie d'un avenir durable, des opportunités commerciales existeront à condition que nous créions un cadre mondial organisé, équitable et ambitieux pour la décarbonisation du transport maritime.