La transition écologique du shipping est dopée à la fois par la demande croissante des clients pour des services de transport bas carbone, et par le durcissement de la réglementation internationale sur les émissions polluantes. Pour répondre à cette demande, les armateurs s’orientent en grande majorité vers le recours à des carburants de substitution : l’abandon progressif du fuel lourd pour le gasoil marin, puis le GNL, puis demain vers les biocarburants et l’hydrogène.
Ces deux derniers carburants représentent sûrement une part de la solution mais deux autres leviers sont largement sous évalués et sous-employés : la réduction de la vitesse et l’utilisation de la propulsion éolienne.
Prix, vitesse, ponctualité, et bilan carbone sont les quatre paramètres clés d’un service de transport. Et l’intégration de la propulsion éolienne dans le mix énergétique des navires doit tenir compte d’un compromis entre ces paramètres généralement dans l’ordre suivant :
1. Ponctualité : pas de compromis possible
De manière générale, il n’y a jamais de compromis possible avec la ponctualité. Le transport maritime est un maillon parmi d’autres dans une chaîne logistique (camion + train + maritime + camion à nouveau). Si on souhaite s’inscrire dans le marché du transport conventionnel il n’est pas envisageable d’arriver 3 jours en retard sous prétexte d’un manque de vent. Les conséquences économiques, telles que les denrées périmées sont trop importantes. Si le bateau arrive en retard à destination, c’est toute la chaîne logistique du post-acheminement des marchandises qui est pénalisée.
Cela implique que le vent ne peut jamais être le moyen de propulsion principal. Il faudra compléter avec une propulsion mécanique.
2. Vitesse
La vitesse dépend souvent de la route maritime que suit le cargo. Si le cargo fait un voyage pendulaire d’aller-retour ou s’il fait un voyage d’une destination à une autre.
Dit autrement, la vitesse ne se négocie pas forcément comme telle, c’est le voyage qui la donne.
Et pourtant c’est de la vitesse que le reste découle : le prix et le pourcentage d’utilisation des voiles.
3. L’économie de carburant
Elle est directement liée à la vitesse souhaitée. Si un client accepte de ne donner aucun impératif de vitesse et de délais, on peut utiliser les voiles à 100%.
Si au contraire le client souhaite aller vite à 20 nœuds dû à la marchandise transportée, le bateau fonctionnera en permanence au moteur, et les voiles ne permettront que de réduire légèrement la consommation de carburant.
Entre ces deux extrêmes, il faut voir le paramètre de la vitesse comme un curseur que l’on positionne en fonction de l’économie de CO2 qu’on souhaite atteindre :
8 nds = vitesse très faible = 90% voile / 10% moteur
12 nds = vitesse faible = 60% voile / 40% moteur
15 nds = vitesse moyenne = 35% voile / 65% moteur
4. Le prix
De manière générale : le marché n’était pas prêt à payer de surcoût il y a 4 ans. Aujourd’hui il semble accepter un surcoût de 20-30% pour un service bas carbone.
L’équilibre magique :
Aujourd’hui pour des vitesses de transport moyennes de 15 nds, on obtient une économie d’environ 30%. La construction d’un cargo à voile coûte environ 15% plus cher qu’un cargo conventionnel. Donc on obtient des CAPEX (dépenses d’investissement) supérieurs, qui en contrepartie permettent aussi des économies de carburant. L’avantage est d’être plus résilient : si le prix des énergies fossiles augmente, notre prix de transport est moins impacté que celui des navires conventionnels.
Il existe plusieurs projets de transport à la voile en Europe. Chacun adopte des choix commerciaux bien distincts. Certains privilégient une approche radicale et zéro CO2 ce qui suppose un transport à vitesse faible et un prix élevé qui n’est possible que pour des produits à forte valeur ajoutée. D’autres s’adressent au marché conventionnel avec une approche moins radicale mais permettant d’aborder des marchés plus importants et donc des économies plus importantes en valeur absolue.
La flotte mondiale est composée d’environ 50’000 cargos. L’espérance de vie moyenne des navires est de 30 ans. Si l’OMI (Organisation Maritime internationale) veut respecter les limites qu’elle s’est fixée, à savoir une réduction de 40% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et de -70% d’ici à 2050, il est important que le transport maritime amorce une transition énergétique rapide. Il n’est pas envisageable d’attendre le renouvellement progressif de cette flotte par des cargos à voile, il sera nécessaire d’équiper des navires existants avec des voiles. Tout en sachant que la propulsion éolienne n’est pas adaptée à tous les types de navires, ni à toutes les lignes maritimes du monde.
Le routage météorologique
Grâce à des statistiques de vent des 10 dernières années, il est possible de simuler à l’aide de logiciels de routage puissants, un grand nombre de voyage. A partir des économies de carburant moyennes réalisées sur ces simulations, il est possible d’estimer les économies réalisables sur une ligne maritime donnée, avec un navire donné, en fonction des saisons et du régime météo. Par ailleurs, une fois le navire construit et mis en service, ce même outil de routage permet ensuite de tracer la route la plus adaptée pour le navire en fonction du bulletin météo des jours à venir pour tirer le meilleur parti du vent sur la traversée à effectuer.
Le premier cargo à voile moderne de plus de 100 mètres
Zéphy et Borée a remporté en 2018 en joint venture avec la compagnie maritime Jifmar Offshore Services un important appel d’offre pour assurer le transport de la fusée Ariane 6. Le bateau sera mis en service dès 2022 et sa construction a débuté en ce mois de février 2021 en Pologne.
Les différents éléments de la fusée sont construits dans différents pays européens, ils seront collectés par notre bateau dans les ports de Brême, Rotterdam, Le Havre, Bordeaux, Livourne, et acheminés en Guyane à Kourou d’où le départ de la fusée Ariane est prévu.
Dessiné par le bureau d’étude VPLP design, ce navire marquera un tournant pour le transport à la voile moderne, le faisant passer du statut de solution marginale à une réelle solution d’avenir pour la flotte mondiale. Le navire mesure 121 mètres de long pour 21 mètres de large et est équipé de quatre ailes d’une surface de 363 m² chacune.