A l’instar des enfants, Wall Street adore les histoires, même quand elles relèvent de la fantaisie. La dernière en date, racontée par un gérant alternatif facétieux, évoque la perspective d’une réduction du taux d’intérêt des Fed funds en mars prochain. En phase avec ce pronostic, la structure des taux d’intérêt en dollars a continué à sombrer, conduisant le rendement du T-Notes à 10 ans à proximité de 4,25%. Dans ces circonstances, notre appel tactique à «acheter de la duration» est caduc. Au contraire, l’effondrement des rendements invite aux «prises des profits» sur les obligations à long terme.
Certes, le reflux des rendements est partiellement étayé par l’actualité économique récente. L’inflation mesurée par le biais de l’indice de prix des dépenses de consommation personnelles (PCE) a ralenti pour s’établir à 3,0% en novembre. Hors énergie et alimentation, l’indice de prix affiche une variation de 0,2% par rapport au mois précédent et de 3,5% en glissement annuel. La cible de 2% n’est pas encore atteinte, mais la progression annualisée de 2,5% observée au cours des six derniers mois se rapproche de l’objectif visé par la Réserve fédérale.
Les indicateurs d’activité sont mitigés. La confiance des consommateurs s’est redressée en novembre, mais l’indice ISM consacré au secteur manufacturier, inchangé à 46,7 en novembre, traduit une contraction de l’activité, des commandes et des effectifs. L’augmentation des prix de l’immobilier résidentiel, en hausse de 3,9% en glissement annuel, est déroutante, mais elle s’explique par un déclin concomitant de l’offre et de la demande provoqué par l’augmentation des taux d’intérêt hypothécaires.
Plusieurs banquiers centraux se sont exprimés avant la période de «blackout» qui précède la réunion du FOMC qui se tiendra la semaine prochaine. Les déclarations de Christopher Waller, Michelle Bowman et Jerome Powell tendent à confirmer que les taux d’intérêt ne seront pas relevés davantage, pour autant que le reflux de l’inflation se poursuive comme prévu. Tous s’accordent à signaler qu’il est trop tôt pour spéculer sur un assouplissement, mais ce message n’a pas été assimilé par les investisseurs qui tablent sur un «pivot» rapide et de grande ampleur l’an prochain.
Ironiquement, l’envol des indices boursiers, la chute des rendements et le reflux des primes de risque de crédit associées aux emprunts d’entreprises impliquent un fort assouplissement des conditions financières, à l’inverse de la situation qui prévalait à fin octobre. Le FOMC pourrait donc se montrer moins conciliant la semaine prochaine et tenter de tempérer les attentes de réduction des taux d’intérêt. Au rang des «données» qui influeront sur la position du FOMC, le rapport de l’emploi attendu vendredi pourrait avoir un fort impact sur les rendements en dollars et sur les marchés financiers en général. Des chiffres «solides» pourraient provoquer un rebond significatif des rendements. A contrario, un refroidissement pourrait conforter les investisseurs dans leur anticipation d’une baisse rapide des taux d’intérêt.
En Europe, les rendements en euros sont sous pression. Celui du Bund allemand à 10 ans est tombé à près de 2,35%. Le reflux marqué de l’inflation observé en novembre dans la zone euro (-0,5% mensuel, 2,4% en glissement annuel; respectivement -0,6% et 3,6% hors énergie et alimentation) alimente l’espoir d’un revirement assez rapide de la part de la Banque centrale européenne. En Suisse, le rendement de la Confédération est tombé aux environs de 0,75%, bien loin du niveau de 1,6% observé en début d’année. Le reflux de l’inflation annuelle à 1,4% place la Banque nationale suisse dans une situation confortable: la mission est largement accomplie.