Nous ne savons pas encore si la « tyrannie de la croissance du PIB » prendra fin, mais différents signaux suggèrent que la pandémie pourrait accélérer les changements dans bon nombre de nos normes sociales bien ancrées. Si nous reconnaissons collectivement qu'au-delà d'un certain niveau de richesse défini par le PIB par habitant, le bonheur dépend davantage de facteurs immatériels, tels que l'accessibilité aux soins de santé et un tissu social solide, que de la consommation matérielle, alors des valeurs aussi diverses que le respect de l'environnement, l'alimentation responsable, l'empathie ou la générosité peuvent gagner du terrain et caractériser progressivement les nouvelles normes sociales.
Au-delà de la crise en cours, ces dernières années, le rôle de la croissance économique dans la progression du niveau de vie a varié en fonction du contexte. Dans les économies à revenu élevé, la croissance de la productivité n'a cessé de décliner depuis les années 1970, et certains soutiennent qu'il n'existe actuellement aucune piste politique claire capable de relancer la croissance à long terme. La croissance qui s'est effectivement matérialisée a par ailleurs bénéficié de manière disproportionnée aux personnes situées au sommet de la distribution des revenus. Une approche plus efficace pourrait consister, pour les décideurs politiques, à cibler plus directement les interventions visant à améliorer le bien-être. […]
Cela nous amène à la deuxième question clé concernant la croissance future. Si la direction et la qualité de la croissance économique comptent autant - voire plus - que sa vitesse, par quels nouveaux moteurs sera stimulée cette qualité dans l'économie post-pandémique ? Plusieurs domaines ont le potentiel d'offrir un environnement capable de stimuler un dynamisme plus inclusif et durable.
L'économie verte couvre un éventail de possibilités, allant d'une énergie plus propre à l'écotourisme en passant par l'économie circulaire. Par exemple, le passage de l'approche « take-make-dispose » (prendre-créer-jeter) de la production et de la consommation à un modèle « réparateur et régénérateur par nature » peut préserver les ressources et minimiser les déchets en réutilisant un produit lorsqu'il atteint la fin de sa vie utile, créant ainsi une valeur supplémentaire capable à son tour de générer des avantages économiques en contribuant à l'innovation, à la création d'emplois et, en fin de compte, à la croissance. Les entreprises et les stratégies qui privilégient les produits réparables ayant une durée de vie plus longue (des téléphones et des voitures à la mode), qui proposent même des réparations gratuites et les plateformes d'échange de produits usagés sont toutes en pleine expansion.
L'économie sociale s'étend à d'autres domaines à forte croissance et créateurs d'emplois dans les domaines des soins et des services à la personne, de l'éducation et de la santé. […] L'éducation est également un domaine de création massive d'emplois, en particulier si l'on prend toutes ses sous-divisions en compte : l'enseignement primaire et secondaire, l'enseignement et la formation techniques et professionnels, l'université et la formation des adultes. La santé, comme l'a démontré la pandémie, nécessite des investissements beaucoup plus importants, tant en termes d'infrastructures et d'innovation que de capital humain. Ces trois domaines créent un effet multiplicateur à la fois par leur propre potentiel d'emploi et par les avantages à long terme qu'ils procurent aux sociétés en termes d'égalité, de mobilité sociale et de croissance inclusive.
L'innovation dans la production, la distribution et les modèles d'entreprise peut générer des gains d'efficacité et des produits nouveaux ou améliorés qui créent une plus grande valeur ajoutée, ce qui entraîne la création de nouveaux emplois et la prospérité économique. Les gouvernements disposent ainsi d'outils pour avancer vers une prospérité plus inclusive et plus durable, en combinant l’orientation et les incitations du secteur public avec la capacité d'innovation commerciale grâce à une refonte fondamentale des marchés et de leur rôle dans notre économie et notre société. […]
Certains ont appelé à la « décroissance », un mouvement qui embrasse une croissance zéro ou même négative du PIB et qui gagne du terrain (au moins dans les pays les plus riches). À mesure que la critique de la croissance économique prendra de l’ampleur, la domination financière et culturelle du consumérisme dans la vie publique et privée sera remise en question. On le voit bien dans l'activisme en faveur d’une décroissance menée par les consommateurs dans certains segments de niche - comme les appels à réduire sa consommation de viande ou à moins prendre l’avion. En déclenchant une période de décroissance forcée, la pandémie a suscité un regain d'intérêt pour ce mouvement qui veut inverser le rythme de la croissance économique […]
Cependant, il faut faire attention à ce que la poursuite de la décroissance ne manque pas de but précis, comme ce fut le cas avec la poursuite de la croissance ! Les pays les plus tournés vers l'avenir et leurs gouvernements privilégieront plutôt une approche plus inclusive et durable de la gestion et de la mesure de leurs économies, une approche qui favorise également la croissance de l'emploi, l'amélioration du niveau de vie et la sauvegarde de la planète. La technologie permettant de faire plus avec moins existe déjà. Il n'y aura pas de compromis fondamental entre les facteurs économiques, sociaux et environnementaux si nous adoptons cette approche plus holistique et à long terme pour définir les progrès et encourager les investissements dans les marchés frontières écologiques et sociaux.
Les autres extraits du livre:
Profiter de cette occasion sans précédent pour réimaginer notre monde
Gagnants et perdants de la crise du coronavirus
Santé et économie, la difficile conciliation de ces deux impératifs