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Se laisser aller à accorder une totale confiance au directeur

Petites histoires pour de grandes leçons de gouvernance. Une série spéciale réalisée par Dominique Freymond. Chapitre 9/10: Limite de la délégation des tâches au directeur

Se laisser aller à accorder une totale confiance au directeur
Dominique Freymond
Académie des administrateurs et des administratrices (Acad) - Associé-fondateur
16 août 2023, 15h00
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Cet été, «L’Agefi» publie en exclusivité 10 chapitres du livre paru cette année de Dominique Freymond dans lequel il partage son expérience d’administrateur d’entreprise.

Résumé

Marc-Henri est le directeur dynamique d’une entreprise dans le domaine agroalimentaire. Entrepreneur innovant mais aussi consciencieux, il a réussi à obtenir le Prix suisse de l’excellence du management de la Fondation Esprix. Le conseil d’administration est fier de Marc-Henri et lui accorde une très grande confiance. Mais où se situent les limites de cette confiance?

Anecdote

Le conseil, formé notamment d’autres patrons de PME, apprécie cet ingénieur agronome EPFZ, parfaitement bilingue et qui a su s’entourer d’une équipe compétente. Marc-Henri est si dévoué qu’il prépare directement l’ordre du jour et les documents pour les séances du conseil. Quelle chance pour Gilbert, le président, qui n’a pas à se préoccuper de tous ces travaux préparatoires.

Afin de gagner du temps et de l’efficacité, Marc-Henri vient seul devant le conseil, car il maîtrise parfaitement l’ensemble des activités opérationnelles de l’entreprise. La Fondation Esprix l’a d’ailleurs confirmé par son prix. Pas besoin non plus d’une secrétaire du conseil, puisqu’il rédige lui-même le procès-verbal des séances.

Dans son livre Propos de O.-L. Barenton, confiseur, Auguste Detœuf décrit très bien cette situation dans La Genèse: «Au commencement, il n’y avait que le conseil. Le premier jour, il créa l’assemblée générale et se fit reconnaître par elle comme le maître de toutes choses. Le deuxième jour, il nomma le président. Le troisième jour, il nomma le secrétaire. Le quatrième jour, il répartit les tantièmes. Le cinquième jour, il répartit les jetons de présence. Le sixième jour, il choisit un homme et le nomma directeur. Puis il lui dit: »Tu travailleras à la sueur de ton front. «Le septième jour, le huitième jour, et les jours suivants jusqu’au jour béni de la Saint-Glinglin, le conseil, ayant tout fait, se reposa. Et il eut raison: car le directeur se trouva bon.»

Professionnel loyal, Marc-Henri n’en reste pas moins un être humain avec son ego et ses biais. La rédaction des procès-verbaux est faite avec le plus d’objectivité possible, mais pèche quand même parfois par l’excès de zèle au sujet de «l’excellence du travail de la direction», «la grande qualité de la proposition de la direction», «le rôle essentiel joué par le directeur qui a permis de gagner une nouvelle affaire», etc.

Les membres du conseil s’accommodent rapidement de cette situation fort confortable. Les séances du conseil sont courtes et efficaces. Cela représente un surcroît de travail pour Marc-Henri, mais il l’accepte bien volontiers. Il dispose d’une grande marge de manœuvre pour décider quelles informations remontent au conseil, quand et sous quelle forme. Il peut finaliser la rédaction des décisions d’une façon optimale pour que cela corresponde le mieux à ses plans. Enfin, il ne perd pas de temps à discuter de problèmes opérationnels avec le conseil, il les résout directement avec son équipe.

Si l’évolution des affaires est favorable tant que le directeur reste loyal et défend les intérêts supérieurs de l’entreprise, une telle situation peut paraître acceptable. Il n’en demeure pas moins qu’en se laissant aller à cette forme de paresse, le conseil n’assume pas ses responsabilités. Il a le devoir de discuter en détail et de confronter les idées du directeur pour prendre les bonnes décisions.

Quelques pistes de réflexion

Même si de nombreuses propositions viennent naturellement de la direction, la fixation de l’ordre du jour et le choix des thèmes à traiter sont du seul ressort de la présidence. La rédaction du procès-verbal doit idéalement être confiée à une personne hors conseil qui soumet son projet pour relecture à la présidence et non à la direction.

Enfin, selon les thèmes traités, le directeur doit s’accompagner d’autres membres de la direction afin que le conseil puisse poser des questions directement à la personne responsable. En donnant autant de libertés au directeur général, le conseil se trouve dans une situation de forte dépendance face à une seule personne. En cas de démission ou d’accident mortel, il risque de se trouver désemparé pour gérer l’entreprise. Ce risque n’est pas acceptable.

Gouvernance d’entreprise: l’envers du décor en 100 anecdotes», Dominique Freymond, Editions Châteaux et Attinger, 2023, 265 pages, CHF 34.-