Il fut un temps où le sujet des conférences, séminaires ou formations portait sur les risques, les rendements, l’équilibre des portefeuilles, le moment juste pour investir, la tendance des taux, le déséquilibre des marchés. C’était, disons, dans les années 1990, l’après-crise mondiale du secteur. Evidemment, les gens étaient nerveux. Quels sont les thèmes de 2023 dans le même domaine? Construire en bois, retrouver les vertus du pisé africain, isoler les façades et les balcons, créer des lois ou bidouiller des règlements, densifier et dé-motoriser, planter des géraniums partout et se chauffer avec leurs tiges.
Minergie intellectuelle et longs bavardages. Dans toute la communication bien-pensante du secteur (des ascenseurs aux crédits), le greenwashing immobilier devient non une mode, mais un système, un code épicène. Que dit-on? Un immeuble ou une maison? Il y a donc un problème de genre.
Si l’assainissement des vieux immeubles et le soin apporté à la performance des nouveaux sont une évidence économique, tout cela a un coût qui va au-delà de l’argument publicitaire «minergique». Celui-là sera supporté par le propriétaire (investissements sans retours) ou par le locataire ou par des cascades de subventions (le contribuable). Personne n’en parle. C’est pourtant l’enjeu de n’importe quelle classe d’actifs. Mangez bio pour vivre plus beau. C’est bien, mais il faut (pouvoir) payer. Tant et aussi longtemps que les mesures d’assainissement ne seront pas automatiquement financées par les locataires, la tendance accélérera le coût des loyers. Vrai ou faux, discret ou insensible, le label «minibio» est déjà plus cher. Un nouveau monde? Oui, celui de la «cancel finance».
Tant est aussi longtemps que le droit du bail n’intégrera pas l’économie de charges des locataires pour les immeubles performants, aucun bailleur n’aura intérêt à investir sans retour
Lorenzo Pedrazzini
Il y a un phénomène évident, dans l’immobilier aussi, un peu woke, inclusif et presque transgenre: la banalisation du message «immobilier propre, performant, respectueux...», qualités ou défauts qui impriment les esprits de ceux qui sont les acheteurs naturels. Dans le segment des investisseurs, d’ici à quelques (longs) mois, il y a à parier que les institutionnels banniront les immeubles non rénovés selon la nouvelle orthodoxie. Résultat? Chute des valeurs pour ceux qui ne seront plus conformes. C’est-à-dire 90% du parc helvétique. A contrario, les immeubles vertueux verront-ils la valeur s’envoler? Pas sûr.
Reste à mesurer la valeur d’un immeuble politiquement correct, respectivement la décote d’une passoire thermique. On pourrait simuler là subventions ou pourquoi pas pénalités administratives (pour les moins vertueux), on peut parfaitement imaginer une taxe punitive pour la seconde catégorie (on l’appellera «incitative», c’est plus doux). Ce sera une nouvelle taxe CO2 du genre. Bons sentiments, effets pervers ou nuls, (certains y pensent...) et dans ce cas, escompter, calculer les gains subventionnés et les pertes punitives. En plus, c’est un chantier de cinquante milliards pour la construction, paraît-il. Ça fait rêver.
Tout cela ne résout pas le dilemme du financement. Le «ver» est dans le système. Tant est aussi longtemps que le droit du bail n’intégrera pas l’économie de charges des locataires pour les immeubles, disons, performants, aucun bailleur n’aura intérêt à investir sans retour. Il serait politiquement stupide d’y penser, certainement pas au moment où les loyers s’envolent. Il y a des situations et moments qui rendent les vertus impossibles. Rêvons que les séminaires barbants évoqués plus haut s’écartent de la mode. Qu’ils se... recyclent et pardonnez-moi ici la récupération malveillante de ce vocabulaire trop banal, c’est amusant. Sans plus.