La sagesse suisse a voulu plafonner (pour nos retraites) les proportions de classes d’actifs et leur financement, dans la fortune ou l’infortune de nos caisses de pension. Pour l’immobilier, c’est 30% de la valeur (d’évaluation), maximum. Le même pourcent s’applique si elles s’endettent. D’où vient ce ratio de 30%? C’est un chiffre rond, psychologiquement lisse, qui, pourtant, ne semble pas clairement ressortir d’une démonstration statistique (on a cherché).
Sachant que la «variable lourde» de l’immobilier d’investissement est le taux d’intérêt de référence (généralement dix ans), on peut craindre que tout ce qui a été acheté en dessous de 4% de rendement, ces dix dernières années, comporte un risque (ou une obligation) certain(e) de correction. Rassurons-nous, il n’y a pas de drame à craindre dans nos alpages, parce que les locataires et les assurés seront invités à… compenser.
Une hausse des taux de référence (et d’actualisation) de 1%, aboutit mécaniquement à 15% de valeur en moins, en moyenne. Cela étant, nos 30% d’immobilier perdraient, par conséquent, presque 5% d’un coup en cas de réévaluation stricte en fin d’année 2022. Ce n’est pas un détail, sachant qu’il faut dix-huit mois au moins pour augmenter ensuite les loyers et compenser ce… détail d’un coût de l’argent qui tangue dans les vents contraires. L’immobilier est lent et le droit du bail est une martingale.
Les commentaires décrivant ce phénomène de rééquilibrage n’évoquent que rarement ce phénomène tellement évident: chaque jour, un actif, quel qu’il soit (immobilier, métaux ou private equity) voit sa valeur varier même quand on ne le voit pas. Dans le domaine de la Bourse, marché supposé efficient, les valeurs retenues sont celles de clôture du 31 décembre de chaque année. C’est économiquement débile mais cela a le mérite d’être simple.
La solution la plus bête serait d’en vendre un peu pour égaliser les proportions immobilier - valeurs mobilières
Lorenzo Pedrazzini
On peut illustrer cette règle d’équilibre de manière triviale: imaginons un portefeuille à l’année -1 composé de 30% d’immobilier et 70% d’actifs cotés. Si les 70% perdent 10% (donc 7% en valeur absolue) et si les valeurs immobilières ne sont pas ajustées, on se trouve dans un déséquilibre arithmétique où la part de l’immobilier dépasse son maximum réglementaire de près de 10% (environ 33%). La solution la plus bête serait d’en vendre un peu pour égaliser les proportions. La solution la plus pertinente est bien sûr de réévaluer (à la baisse) les actifs immobiliers pour rejoindre ce rapport magique de 30-70% et de faire «le dos rond», privilège de riches mais petite tricherie réglementaire.
Les valeurs immobilières, à la lecture des cours des fonds suisses, et sur une observation de quinze ans, sont corrélées pour 92% aux taux. C’est la raison pour laquelle les financiers (pressés ou peu avertis) confondent cette classe d’actifs avec le marché obligataire. Au pire de la hausse des taux, au début de l’année, les fonds avaient perdu près de 20% en moyenne, en quinze jours. Pourquoi? Parce que des gérants pressés avaient liquidé leurs positions sans contrepartie solides.
En Bourse, finalement c’est presque la même chose: les indices sont corrélés pour près de 80% aux taux. Il n’y a pas de miracle à très court terme pour la pierre contrairement au «papier» boursier bien plus volatil. Quoiqu’il paraît qu’on construit désormais en papier aussi.
Il faudrait, par conséquent, ajuster ces valeurs immobilières, fin 2022 déjà. L’exercice sera délicat pour ceux qui ont réévalué spectaculairement, régulièrement, les portefeuilles pendant plus de dix ans, pour le seul motif (mais sans le dire) que le vent était favorable: les taux baissaient tout le temps. S’il y a 300 milliards de valeurs immobilières dans les portefeuilles de nos caisses, le yoyo des taux devrait conduire dans un mois à une correction de 15 milliards quand même. Ainsi, les proportions seront respectées.
Les directives ont un coût. Une grosse broutille en l’occurrence.