Analystes, observateurs, commentateurs (pour la plupart banques, assurances ou leurs obligés) nous expliquent que, nonobstant la tuerie boursière de ces derniers mois, la guerre, le choléra, l’inflation, le pangolin en Chine, le manque de watts, un franc qui s’apprécie à chaque minute, l’immobilier suisse vit dans un autre monde: résilient, déconnecté des… prises de courant qui font et défont les économies.
Pourquoi? Les crédits sont presque tous signés à long terme à des taux proches de zéro, parce que conclus en 2021 ou avant (le lambda débiteur peut donc mourir tranquille, mais à moyen terme). Il y a des arguments: le solde migratoire en Suisse est encore fortement positif (ça, c’est vrai), on construit moins parce que le coût du béton suit celui de l’huile de tournesol (étonnant, non?), la psychologie des quarantenaires reste hypnotisée par l’accession à la propriété (c’est vrai encore, mais pour ceux qui se sentent à peu près riches ou qui comprennent la faillite probable du 2e pilier).
L’immobilier résilient: c’est pourtant complètement faux!
Que dit la finance? La cinquantaine de fonds ou de sociétés immobilières cotées en Suisse a suivi moutonnement la baisse des bourses: -20 %. En Europe, c’est pire et on ne parle pas de Singapour, Londres ou de Dubaï. Tout cela serait sans effet sur la pierre, bêtement, et simplement, selon l’usage que l’on en fait? L’usage ou le besoin, est-ce le seul vaccin d’une chute de valeurs? Habiter a de la valeur, le moyen d’habiter (la maison) en aurait-il moins? Parlons donc de la protection supposée de la pierre à l’inflation.
Evidemment, de quel immobilier parle-t-on? Il y en a onze catégories qui ne réagissent jamais parallèlement: l'immobilier privé (appartements ou villas, c’est l’apanage des journaux qui ne parlent que ce ça); immeubles (l’investissement de ceux qui assurent nos rentes par les caisses de pensions, l’AVS, ou les assurances ou ceux qui sont en mains d’épargnants privés); industriel ou logistique, administratif ou commercial (tous trois hyperréactifs à l’indexation inflationniste, mais c’est les seuls…); immeubles de collectivités publiques (qui garantissent pour partie leurs dettes)… Seules les Eglises échappent aux règles, et encore…
Le bonheur du fisc de matraquer ceux dont la fortune est tellement visible
Lorenzo Pedrazzini
L’erreur coupable du propos lénifiant évoqué plus haut est, pour simplifier, au moins double: d’abord, le bonheur d’avoir déniché un crédit moins cher, à un moment aléatoire, influence-t-il la «valeur»? Evidemment non; c’est l’aléa heureux d’un contrat privé dont les conditions générales peuvent pourtant imposer un amortissement extraordinaire, par exemple, (c’est important de lire les conditions générales, aussi…), un contrat privé dont un tiers ne bénéficiera pas en cas de revente. Le marché immobilier (celui qui mesure le niveau des prix) ne mesure pas celui des crédits parce qu’il ne peut faire converger les durées (on achète pour longtemps, on emprunte pour une durée réduite). Or, dans l’acquisition, le crédit est la règle. Qui achète en fonds propres?
Ensuite, et ce n’est pas anodin, l’alourdissement certain des charges de propriétaire dont les murs ne sont jamais «aux normes»: isoler, capter, contenir les degrés du chauffage, pieux motifs qui supposent de réinvestir, des amendes qui y sont associées et, dans la même veine, le bonheur du fisc de matraquer ceux dont la fortune est tellement visible. Elle est «immobile», elle est immobilière.
Tout cela n’est pas un fleuve si tranquille. Dans le même ordre d’idée, ce marché ressemble à ce que les Valaisans creusaient au XIXe: les bisses. Leurs niveaux dépendaient de celui qui gérait les écluses et de l’abondance de l’eau dont les prières de curés furent la seule influence. Personne n’a jamais pu ou su prévoir. Ni le krach dont personne ne comprend la définition. Ni le krach mou, mou parce que trop récent. Il n’a pas eu le temps de sécher.