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Immobilier et décroissance

Des sardines et des boîtes de conserve. Il paraît qu’on construit trop? Par Lorenzo Pedrazzini

«On va construire sept hectares d’habitation, à Genève 2022, quatre à Bâle! Quatre à huit mille boîtes à dormir. Vu de la mer, l’immeuble est une boîte à sardines de taille standardisée.»
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«On va construire sept hectares d’habitation, à Genève 2022, quatre à Bâle! Quatre à huit mille boîtes à dormir. Vu de la mer, l’immeuble est une boîte à sardines de taille standardisée.»
Lorenzo Pedrazzini
AMI International (Suisse) - Administrateur
07 septembre 2022, 14h10
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Drôle de débat! Il serait donc temps d’organiser une décroissance économique, méthodique, du fait notamment de concentrations immobilières trop massives, trop denses. En bref, un bilan économique positif recèlerait automatiquement plus de vices que de vertus. Rengaine de 1968: la faute aux multinationales (l’étranger), à la spéculation (les requins), au mauvais capital (les Russes), ces «autres» qu’il faut surtaxer pour les punir. La thèse semble pourtant incongrue en période d’inflation, de guerre et de dérèglements dont les conséquences mécaniques seront probablement une forme de décroissance, subie, celle-là: ce sera une récession, qu’il s’agirait, au pire moment, de vitaminer.

«Décroître» est une thèse janséniste («l’essentiel») ou cathare («l’indignité») ou jadis le projet de foules d’illuminés. L’affaire fut réglée en leur(s) temps par une forme originale de décroissance: la guerre, l’exil ou le bûcher. Les arbres, alors, servaient à pendre. La peste faisait le reste. Certes, la croissance (économique, scientifique ou migratoire) induit une conséquence brutale: la densification, la concentration. Il faut loger vite, sans forcément étaler ou entasser. C’est sensible pour des territoires restreints: Genève, Bâle ou Chiasso. Casse-tête d’aménagement, d’équipements, de services, de flux. Mais… un pactole fiscal assuré et une redistribution sociale décuplée.

Plus tarabiscotée serait une définition de la décroissance: sabordage volontaire d’un lieu pour espérer une augmentation de la qualité d’y résider?

Lorenzo Pedrazzini

On mesure finalement mal la croissance. Elle n’est pas qu’économique. En théorie il s’agit d’une création de valeur, jaugée par l’augmentation de la richesse par habitant, dans un espace et un temps donnés. Une croissance du bien-être dont le moteur est forcément la migration des hommes et des talents. Plus tarabiscotée serait une définition de la décroissance: sabordage volontaire de l’attrait d’un lieu pour espérer une augmentation (du sentiment) de la qualité d’y résider? Moins et mieux. On fait comment? On verra bien la température de nos radiateurs cet hiver et le bienfait de la décroissance calorique. Mais quel rapport avec l’immobilier?

La concentration immobilière éveille un sentiment de claustrophobie. C’est un peu vrai. On va construire sept hectares d’habitation, à Genève 2022, quatre à Bâle! Quatre à huit mille boîtes à dormir. Vu de la mer, l’immeuble est une boîte à sardines de taille standardisée. On y loge de quatre à six poissons, pas plus. Y ajouter un locataire (marin) est possible. Deux, c’est délicat, trois, cela signifie revoir la forme de la boîte ou la disposition des locataires, donc redimensionner les chaînes de production, les espaces de stockage et les goûts. On ne pêchera pas plus de sardines pour autant. On fabriquera moins de boîtes ou différemment.

L’immigration n’est qu’une virgule dans le besoin de construire. On surconsomme d’abord local

Lorenzo Pedrazzini

On construit trop grand. Nos comportements engendrent une consommation inouïe d’espaces. Les gardes partagées imposent un dédoublement des logements, près de 40 % des résidents vivent seuls. Ils ne se contentent pas de studios. On ne compte pas les résidences secondaires. Une vieille étude de l’EPFL mesurait le besoin de la famille lambda dans les années 1960. C’était 70 mètres carrés, grand-maman avec. Granny est aujourd’hui dans un EMS et les Suisses avalent chacun 30m2, bébés compris. Voilà caricaturée, certes, une autre surcroissance de consommation. L’immigration n’est qu’une virgule dans le besoin de construire. On surconsomme d’abord local. On s’étale parce qu’on en a les moyens. Un vice de riches, mal emballé.

Qui admirera ces cités nouvelles à l’architecture néo-brutaliste dont le risque social est flagrant? Densifier n’est pas détruire. Il faudra à Genève ou à Bâle, un jour prochain, s’entendre avec la France, inventer de nouvelles zones franches et condamner les cubes dans nos campagnes.

Le trop (peu) et le mieux ne gâtent-ils pas le jeu?