Lorsque au parlement on pose une question au Conseil fédéral, on obtient trop souvent une réponse dilatoire. Par exemple, lorsqu’on interrogea Ueli Maurer sur la vitesse maximale des avions Gripen, il s’embarqua dans de longues phrases sans donner la réponse chiffrée, pour admettre finalement en commission qu’il l’ignorait «parce que la description du Gripen comporte soixante pages impossibles à lire en anglais». Tel est l’état, invraisemblable mais authentique, du brouillard fédéral.
En revanche une question adressée à Alain Berset, lorsque son Département de l’intérieur est mis en cause, reçoit une réponse pertinente et claire. Ce qui devrait être la règle fut l’exception. Et celle-ci place le Conseil fédéral dans sa perspective de non-gouvernement, de simple délégation parlementaire respectant une multitude de contraintes partisanes, linguistiques, régionales, de genre qui dépasse la seule exigence obligée, la compétence. Cette dernière en devient suspecte.
Ainsi dans sa composition actuelle, il comporte un médecin, Ignazio Cassis, chargé des Affaires étrangères, tandis qu’Alain Berset, qui a réussi le concours diplomatique, s’occupe de la Santé. Chacun est à contre-emploi, comme si on le faisait exprès. Cela fait partie du mythe de la milice: tout le monde est capable de s’occuper de n’importe quoi, par une grâce d’Etat propre à la Suisse.
L’indice le plus étonnant de la qualité de gouvernant d’Alain Berset, qui vient d’annoncer quitter le gouvernement à la fin de cette année, vient du choix des critiques qui lui furent adressés. Comme il faisait bien son métier de ministre, on ne pouvait qu’en faire l’éloge. Lorsqu’on désirait le blâmer, il ne restait plus comme ressource que la vie privée, sujet qui n’est jamais abordé avec les autres conseillers fédéraux.
Il suffit dans ce pays d’être intelligent et éloquent, pour devenir insupportable aux journalistes, puis à l’opinion publique
Jacques Neirynck
Si une ancienne maîtresse le fait chanter, on en profite pour fabriquer une faute prétendument politique. S’il commet une maladresse en pilotant un avion de tourisme, on le lui reproche avec aigreur. On suggère même que l’on attend sa démission pour cette seule raison. Si un collaborateur commet une indiscrétion, c’est la faute gravissime du ministre de l’avoir choisi. On conçoit que ce genre de harcèlement finisse par lasser et souhaiter de rechercher un emploi moins mesquin.
C’est l’application de la règle non écrite selon laquelle les têtes qui dépassent doivent être coupées. Il a fallu que Guy Parmelin intervienne en conférence de presse pour assurer qu’Alain Berset n’était pas le dictateur que les médias se plaisaient à insinuer. Il suffit dans ce pays d’être une personnalité, d’être intelligent et éloquent, pour devenir insupportable aux journalistes, puis à l’opinion publique.
En acratie, la fonction du gouvernement national est de ne pas gouverner mais de suivre les événements avec un peu de retard. En cas d’urgence, la Constitution autorise à prendre des décisions hors de la procédure habituelle. C’est ce que fit Alain Berset lors de l’épidémie de Covid. Il arriva qu’il se trompe parce que l’on se trouvait face à une menace imprévue dont on ignorait tout et pour laquelle il eût été préférable d’avoir une formation en infectiologie.