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Une dérive droitière

La démocratie est prise au piège de sa générosité: elle ne peut détruire ceux qui veulent la détruire. En se retirant de la séance parlementaire avec Zelensky, l’UDC ne s’est pas trompée. Par Jacques Neirynck

«Un bon tiers de la population non seulement ne veut pas s’engager dans le conflit ukrainien, mais il est aussi opposé à l’accueil de requérants d’asile, refuse la vaccination contre le Covid, ne croit pas à la transition climatique et souhaite le retour au nucléaire.»
KEYSTONE
«Un bon tiers de la population non seulement ne veut pas s’engager dans le conflit ukrainien, mais il est aussi opposé à l’accueil de requérants d’asile, refuse la vaccination contre le Covid, ne croit pas à la transition climatique et souhaite le retour au nucléaire.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
26 juin 2023, 11h32
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Jeudi passé, le président Volodymyr Zelensky s’est adressé au Parlement suisse ou plutôt à ce qui en restait. Le plus grand parti de Suisse avait décidé de le boycotter et de sortir de l’enceinte du Conseil national, dans une très rare manifestation de désapprobation, mise sur le compte du respect de la neutralité. Or, on ne sait pas que celle-ci exige de refuser d’écouter qui que ce soit.

Il s’agit donc de tout autre chose qui s’inscrit dans une dérive droitière intéressant toute l’Europe: une orientation de type populiste, c’est-à-dire nationaliste, xénophobe, secrètement hostile à la démocratie, ostensiblement dévote, homophobe. Ce n’est pas en soi la dictature, mais la complicité avec celle-ci, une discrète envie d’autocratie, de remettre son destin entre les mains d’une figure charismatique. Si un Poutine populiste agresse la démocratie ukrainienne, une fraction de la droite est au fond d’accord avec lui. Il fait une sale besogne, mais tôt ou tard il fallait le faire, mettre un terme à la mode démocratique.

En se retirant de la séance, l’UDC ne s’est pas trompée. Non seulement elle ne risque pas d’y perdre des électeurs, mais au contraire elle fédérera de plus en plus tous ceux qui ne supportent pas le discours dominant du bonasse pouvoir fédéral.

Un bon tiers de la population non seulement ne veut pas s’engager dans le conflit ukrainien, mais il est aussi opposé à l’accueil de requérants d’asile, refuse la vaccination contre le Covid, ne croit pas à la transition climatique et souhaite le retour au nucléaire. C’est la politique de refus à tout ce qui change par rapport aux habitudes. C’est l’attitude normale si on pratique un déni de la réalité et une méfiance de la science. On ne veut pas savoir ce qui se passe parce que, croit-on, c’était mieux avant.

La neutralité suisse fait croire qu’il suffit de refuser la guerre pour y échapper

Jacques Neirynck

N’est-il pas paradoxal de défendre la démocratie si une fraction importante de l’électorat la refuse? On ne peut faire le bonheur du monde malgré lui. Au nom d’une croyance béate en la volonté populaire, on ne peut lui interdire d’exprimer le souhait de démissionner. La démocratie est ainsi prise au piège de sa générosité: elle ne peut détruire ceux qui veulent la détruire. Cela expliquerait sa rareté et sa fragilité.

Car pour se défendre contre la violence, il faut soi-même être prêt à l’exercer. La guerre revient en Europe qui croyait l’avoir abolie, autre naïveté. La neutralité suisse est l’expression de cette ingénuité. Elle fait croire qu’il suffit de refuser la guerre pour y échapper. La paix règne en Suisse parce que celle-ci est enclavée entre des pays de l’OTAN. Elle ne risque rien à se vouloir neutre, impartiale, distante. Si l’Ukraine est battue, cela ne consternera pas les élus qui ont refusé d’en écouter le président.

Un résistant allemand, le pasteur Niemöller, a décrit cette posture dans un court poème:

Lorsqu’ils sont venus chercher les communistes

Je me suis tu, je n’étais pas communiste.

Lorsqu’ils sont venus chercher les sociaux-démocrates

Je me suis tu, je n’étais pas social-démocrate.

Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs

Je me suis tu, je n’étais pas juif.

Puis ils sont venus me chercher

Et il ne restait plus personne pour protester.