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Le franc est-il si fort face à l’euro ou au dollar?

Les taux de change réels ne montrent pas une tendance marquée à la hausse ou à la baisse. La force de la monnaie helvétique est à relativiser. Par Cédric Tille

«Le franc s’est nettement affaibli par rapport à l’euro entre 2019 et 2022, pour ensuite se renforcer.»
KEYSTONE
«Le franc s’est nettement affaibli par rapport à l’euro entre 2019 et 2022, pour ensuite se renforcer.»
Cédric Tille
Graduate Institute Geneva - Professeur d’économie
08 février 2024, 9h30
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La forte appréciation du franc, notamment par rapport à l’euro, a conduit plusieurs secteurs d’activité à sonner l’alarme. Cependant, cette force est à relativiser du fait de l’inflation nettement plus faible chez nous que chez nos voisins. Si effectivement le franc s’est renforcé en 2023, cela fait suite à une baisse marquée lors des années précédentes.

Différentes mesures du taux de change

La mesure la plus courante est le taux de change dit «nominal», qui compare la valeur d’un franc par rapport à un dollar ou un euro. Ce taux est indiqué par la ligne bleue dans les figures ci-dessous, pour le dollar et l’euro (plus la courbe est haute, plus le franc est fort). Nous voyons clairement l’appréciation de notre monnaie depuis les années 2000, notamment vis-à-vis de l’euro, la situation vis-à-vis du dollar étant plus stable depuis une quinzaine d’années.

Le franc est-il si fort face à l’euro ou au dollar?

Il est cependant important de prendre en compte l’inflation dans les différents pays. Si une entreprise suisse fait face à un coût de production stable, mais voit le franc se renforcer de 10%, sa situation n’est pas péjorée par rapport à une entreprise allemande qui fait face à une hausse de ses coûts de 10%. Pour ce faire, nous pouvons utiliser les données de la Banque nationale suisse (BNS) qui incluent les taux de changes dits «réels», c’est-à-dire corrigés des différentiels d’inflation. La ligne verte dans les graphiques indique le taux de change réel basé sur l’indice des prix à la consommation: plus il est élevé, plus le panier de consommation suisse est cher par rapport au panier étranger. La courbe rouge quant à elle montre le taux de change réel basé sur l’indice des prix à la production: plus il est élevé, plus les biens produits par les entreprises suisses sont chers par rapport à leurs concurrentes (bien que la BNS ne publie cet indice qu’avec douze mois de décalage, il est possible de le construire directement pour les Etats-Unis et la zone euro).

Plusieurs constats émergent. Tout d’abord, les taux de change réels ne montrent pas une tendance marquée à la hausse ou à la baisse. Cela montre que sur la durée le renforcement du franc est le miroir de l’inflation plus faible en Suisse. Ensuite, les deux taux réels se suivent assez bien. Avec une exception notable par rapport à la zone euro depuis 2020. Le franc s’est nettement affaibli par rapport à l’euro entre 2019 et 2022 (baisse de la ligne rouge), pour ensuite se renforcer (hausse de la ligne rouge). Ceci est dû à une très forte hausse des prix à la production en Europe, qui s’est ensuite partiellement résorbée.

En d’autres termes, si les entreprises suisses ont effectivement vu leur condition se péjorer sur les douze derniers mois, cela fait suite à une phase où l’inverse était vrai. En regardant sur la durée, la force actuelle du franc, corrigée des prix à la production, n’est pas inhabituelle.

Une situation hétérogène

Nous contrastons l’évolution du taux de change réel, corrigés des prix à la production, en présentant le changement de décembre 2019 à décembre 2022 (barres bleues dans le graphique ci-dessous), et le changement depuis lors (barres rouges, qui ne peuvent pas être calculées pour l’indice vis-à-vis l’ensemble des partenaires commerciaux).

Le franc est-il si fort face à l’euro ou au dollar?

La dépréciation du franc entre 2019 et 2022 (valeurs négatives des barres bleues) a été nettement plus marquée vis-à-vis de la zone euro que des Etats-Unis et de l’ensemble des partenaires, et notamment par rapport à l’Espagne et l’Italie, avec un changement de plus de 30% pour ce dernier. Le renforcement du franc depuis lors (valeurs positives des barres rouges) a été plus uniforme entre les différents pays, à l’exception de l’Italie ou il a été plus marqué. A ce jour, nous constatons que le récent renforcement n’a pas (encore?) compensé la phase précédente en Europe, les barres rouges demeurant plus faibles que les barres bleues.

Bien entendu, notre analyse repose sur un indicateur qui regroupe l’ensemble des secteurs d’activité. Il demeure tout à fait possible que des secteurs spécifiques soient confrontés à une situation pire, mais nous n’avons pas affaire à un cas largement répandu. Il est également vrai que les forts mouvements observés depuis 2019 sont assez inhabituels, et que par conséquent les entreprises sont confrontées à une situation particulièrement volatile.

Version en anglais