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Le coût des passoires immobilières

Après le prix des immeubles au mauvais bilan énergétique, voici leur coût. Les calculs promis par Thomas Brendle et Lorenzo Pedrazzini

«La mode »durable« (justifiée ou non) et l’avalanche de normes qui lui succéderont constituent, à notre sens, un risque de krach immobilier d’un nouveau genre.»
KEYSTONE
«La mode »durable« (justifiée ou non) et l’avalanche de normes qui lui succéderont constituent, à notre sens, un risque de krach immobilier d’un nouveau genre.»
Thomas Brendle
AMI International (Suisse) - Stagiaire
Lorenzo Pedrazzini
AMI International (Suisse) - Administrateur
09 juin 2023, 7h00
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Dans notre précédent article, nous parlions du risque certain de décote «éco-politique» des immeubles d’avant 1980, du simple (et complexe) fait que les investisseurs risquent d’appliquer d’importantes pénalités pour tout ce qui n’est pas «clean & sustainable» (concept intraduisible en français), dans un marché (suisse) de près de 100 milliards de francs de valeur, ce n’est pas un détail.

Si l’hypothèse est solide, intuitivement, après enquête auprès de fournisseurs, entreprises générales, ingénieurs et architectes, il apparaît que les corrections de valeurs peuvent atteindre 17% à 20%. Plus rien à voir avec le yo-yo des taux d’intérêt. La mode «durable» (justifiée ou non) et l’avalanche de normes qui lui succéderont constituent, à notre sens, un risque de krach immobilier d’un nouveau genre.

Un calcul avec 131 variables

Il est difficile de résumer les 131 variables des calculs courageusement menés par nos stagiaires depuis deux semaines. Lecteur, soyez bienveillant, cela est un résumé dont les détails seront accessibles sur notre site dans les deux semaines. Durant l’exercice, nous avons tant appris sur la volatilité des prix du silicium (pour les panneaux), de ceux (pour les conducteurs) du cuivre ou de l’argent… L’immobilier serait-il une variable du «commodity trade finance»?

Posons le problème d’une manière triviale. Le tableau ci-dessous nous interroge sur deux constats: quelle est la décote maximum en valeur dans un marché idéal et vertueux? De combien faut-il augmenter les revenus (loyers, subventions ou autres variables) pour maintenir la «valeur d’avant»? En fait, c’est tout ce qui nous intéresse. On oublie la poésie.

Deux immeubles au banc d’essai

Sont comparés ici deux actifs. L’un, ancien, muni de tous les vices des constructions hâtives, bâclées ou urgentes des années 1970. L’autre, vertueux, avale isolations à jour, pompes et panneaux, sans compter la rénovation de tous les flux (électricité et liquides). En bref, on rénove totalement. Ce qui est rare… Le rendement théorique est de 50 (mille), avant. Nous avons retenu, pour simplifier, un immeuble d’une valeur d’un million et d’un rendement de 5%. On peut multiplier les proportions sans grande économie d’échelle.

Le résultat est spectaculaire. D’abord, pour égaliser le rendement «d’avant», il faut augmenter les revenus de 20,26%. Cela peut se faire par des augmentations de loyers ou des subventions. Il faut que quelqu’un paie.

Ensuite, seconde constatation «robuste», on voit que les charges d’exploitation et financières sont plus lourdes dans l’immeuble économe de près de 18%. C’est insolite et évident à la fois. Et cela coule de l’amortissement des installations, principalement. Les calculs retiennent ici un amortissement des installations d’amélioration énergétique (panneaux, pompes, tuyauteries…) en 10 ans et de la superstructure en 30 ans. Tout cela est brutal mais finalement logique. La technologie des panneaux, par exemple, est bien plus fragile que précédemment: son obsolescence est augmentée, le coût de maintenance plus pointu, sans compter celui des assurances (on vole les panneaux, ils se dégradent sous la grêle, les Chinois révolutionnent leur technologie tous les cinq ans, d’où un risque de pièces de rechange…).

La réaction du locataire

L’illustration est préoccupante telle quelle. Cependant, le calcul se borne à celui du propriétaire. Quelle sera la réaction du locataire? Les 20,26% de prime de loyer sont plus ou moins rédhibitoires. On en convient. Quoique le locataire fasse un second arbitrage: quelle est mon économie de charges de chauffage, par exemple? Il déduira donc cette épargne opportuniste du coût complet qu’il paie pour son loyer, charges comprises. Comprenons bien qu’il y aura, à la fin, un surcoût certain, difficile à quantifier. Admettons que pour 100 m2 l’on paie 2500 francs de charges par an, diminuer ce chiffre de 50% ne sera pas enthousiasmant.

Les séminaires qui ont consacré de brefs chapitres à ce sujet estimaient les décotes autour de 10%. Ici, notre approche est bien plus complète, pour deux raisons: c’est l’amortissement rapide des installations technologiques et la prise en compte d’une gestion optimale des eaux qui enfoncent le clou. On ne peut ignorer ces deux variables. Hors amortissement, il est vrai que l’immeuble «clean» aurait une performance positive. Mais cette approche serait bâclée, fausse.

Le coût des passoires immobilières

Trois scénarios

Les compensations? Il y a trois scénarios possibles. Le premier, hypothétique, est l’adhésion du locataire à un habitable clean (on évite «durable», qualificatif qui ne veut rien dire). Le second est une baisse linéaire du loyer compensant pour tout ou partie l’économie de ne pas rénover. Le troisième serait une subvention étatique allant en sens inverse. Il existe un quatrième scénario: le mélange des trois précédents et un impôt punitif, fantaisie à la mode chez nous. Nous n’avons pas retenu les subventions à la rénovation (qui oscillent en Suisse de 3 à 15%, selon les cantons…), trop difficile à modéliser.

Partant de cet exemple horriblement théorique, la perte de valeur du vieil immeuble avoisine les 30%, à paramètres d’investissement constants et dans une application stalinienne des coûts de rénovation, adaptation, transformation. Voilà bien les limites des théories car, dans les faits, c’est le marché de la demande locative qui dictera les rendements. Donc, en période de pénurie, peu me chaut (!) de vivre dans un appartement chauffé au charbon, pourvu que… j’habite.

Voilà bel et bien un arbitrage de riches. Il est peu probable que nous ayons pu écrire ce résumé dans les colonnes du National Herald de New Delhi. Là-bas, ils ont d’autres problèmes plus urgents alors que c’est précisément «là-bas» que les dégâts sont les plus lourds. On a l’impression de vouloir peindre nos alpages en vert, finalement.