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La décadence des services

Beaucoup de secteurs, notamment la distribution et l'hôtellerie-restauration, souffrent d’une disette de personnel au point que des établissements réduisent leurs prestations. Par Jacques Neirynck

«Année après année, le courriel grignote la poste aux lettres dont on peut se demander si elle survivra encore longtemps.»
KEYSTONE
«Année après année, le courriel grignote la poste aux lettres dont on peut se demander si elle survivra encore longtemps.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
06 mars 2023, 16h00
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Une société de services fournit à titre onéreux des prestations, du personnel, des équipements, des marchandises, à l'exclusion de la production de biens matériels. Cela va donc d’une école à un hôpital en passant par un restaurant. Dans tous les cas, cela signifie la mobilisation d’un personnel, plus ou moins qualifié, plus ou moins bien rémunéré. Cela s’étage d’un plongeur dans un restaurant jusqu’à un chirurgien chef de service.

Pendant longtemps la thèse des économistes a été celle d’une mutation merveilleuse où les cultivateurs passaient par l’industrie avant de se fondre dans une société de services. Or, ces derniers sont en voie d’extinction plutôt que de développement.

Le signal emblématique est celui des grandes surfaces en libre-service. Le client est abandonné à lui-même pour découvrir les rayons où se nichent ses emplettes et invité à établir sa note face à une caisse automatique.

Un peu partout le secteur hôtellerie-restauration souffre d’une disette de personnel au point que des établissements réduisent leurs prestations.

L’épidémie s’étend vers d’autres secteurs. La Poste en est le dernier avatar. Année après année, le courriel grignote la poste aux lettres dont on peut se demander si elle survivra encore longtemps. A Lausanne Ouest, le bureau de Saint-Sulpice vient de fermer. Celui d’Ecublens ne délivre plus de colis à domicile, mais dépose une injonction de venir le chercher à la poste. Ce qui signifie tout d’abord posséder une voiture et ensuite se colleter un distributeur automatique, qui ne répond qu’à des manœuvres dépassant l’entendement de la plupart des clients. Heureusement le personnel est sensible aux plaintes et se dérange encore pour récupérer les colis au terme d’opérations magiques et les amener au guichet. Ultime projet, on évoque la possibilité d’utiliser des drones pour transporter les colis à domicile.

Toutes ces mutations reposent sur l’action séculaire des syndicats, qui ont réussi à augmenter les salaires minimums

Jacques Neirynck

Dans une gare, les billets sont délivrés par des automates, qui n’ont évidemment pas le sourire d’une préposée. Il existe encore de véritables hôtels en Suisse, mais il ne faut pas espérer qu’un groom portera la valise jusqu’à la chambre. Le restaurant de la gare de Lausanne, jadis desservi par des serveurs, est devenu un libre-service, c’est-à-dire que les clients les remplacent. Un ordinateur n’est pas vendu avec un service de dépannage ou d’initiation et reste, son existence durant, sous-utilisé. L’épidémie a instillé l’idée du télétravail et, pire, du téléenseignement.

Toutes ces mutations reposent sur l’action séculaire des syndicats, qui ont réussi à augmenter les salaires minimums. Elles sont donc le prix à payer pour une révolution sociale majeure, une rémunération plus égalitaire et plus juste, comportant néanmoins encore de sérieuses lacunes. Mais on peut abandonner l’idée que l’enrichissement d’un pays produira plus de services. Plus un pays s’enrichit, plus ils deviennent hors de prix.

Restent heureusement ceux assurés vaille que vaille dans les familles, la garde des enfants, l’assistance aux vieillards, la cuisine, la lessive le ménage, qui nourrit encore l’inégalité entre les hommes et les femmes. Dans une société avec trop peu de services assurés, il y aura toujours une place pour ceux que l’on sous-estime.