Fin septembre, les «Chambres» modifiaient les règles de la sous-location, dont une durée maximum. En l’occurrence, deux ans. Il n’y a rien de discriminatoire ni de révolutionnaire là-dedans. Dans une perspective d’équilibre et de fluidité du marché, on aurait pu proposer un an. Ou moins. Et des renouvellements conditionnels, par exemple.
Plus intéressant est d’écouter les arguments de ses opposants, parfaitement cohérents dans une logique qui relève plus de la philosophie politique que de la réalité économique. C’est ce que je veux relever ici, craignant surtout qu’on ne puisse concilier, jamais, deux attitudes complètement opposées, dont les postures remettent finalement en cause notre Etat de droit. Posséder, occuper ou louer serait-il un droit aussi fort que d’être propriétaire?
Si l’on demande à un Suisse «calme» quelle est la première des libertés, il y a fort à parier qu’il répondra: le droit de propriété. Enfin, jadis c’était ainsi. Si l’on pose la même question à un Suisse «des villes», il est probable qu’il réponde: le droit de (et à) la location. De l’un à l’autre, serait-il envisageable de se prononcer un jour sur le «droit à l’occupation»?
Pour résumer le motif d’une sous-location, disons qu’il s’agit de permettre au locataire, dont un déplacement d’activité ou de vie impose un éloignement provisoire, de compenser le coût d’une inoccupation (le loyer) par la contribution d’un remplaçant. Jusque-là, nos modes de vie (déplacement professionnel de durée limitée, par exemple) justifient cette souplesse contractuelle sous réserve. C’est là que le bât blesse: que le loyer de sous-location ne se transforme pas en bénéfice et que ce sous-contrat ne devienne pas une rente de situation. En d’autres termes, que le locataire ne se sucre au passage en surfant sur l’inattention du bailleur.
Ces situations sont particulièrement choquantes lorsque les loyers sont bas, du fait d’une politique publique de contrôle ou de subvention, et ne se transforment en rentes éternelles qui échappent à la gourmandise du propriétaire et à celle… du fisc (les bénéfices de sous-location sont rarement déclarés).
Cela est tout à fait cohérent dans un monde de gentils. Admettons qu’il y ait des locataires moins gentils. Là, nous devons admettre que puisse naître une véritable industrie de la sous-location, des filières, des associations de marchands de baux ou gentils profiteurs de pénuries.
Ce prolétariat de la sous-location est le seul scandale d’une mansuétude politique décorrélée du monde vrai
Lorenzo Pedrazzini
Qui sont les victimes? Les propriétaires, pour des raisons bassement vénales, on en convient, ils pourraient encaisser plus; et surtout les sous-locataires, dont la situation n’est jamais motivée par le bonheur d’enrichir un intermédiaire: les pressés, les sans-papiers, les illégaux, les victimes de quelque arrangement de travail, déclaré ou non, les migrants d’un réseau ou d’une origine particulière, tous ceux qui paient cher parce qu’ils n’ont pas le choix. Toujours dans l’urgence et l’urgence est une sorte de misère.
Ce prolétariat de la sous-location est le seul scandale d’une mansuétude politique décorrélée du monde vrai, c’est l’aveuglement d’arguments fallacieux qui confondent la possession et la propriété.
C’est un fléau, une distorsion économique dont la dénonciation au fisc doit être systématique. L’Etat est souvent plus efficace que le service de contentieux d’une régie.
Une durée légale de sous-location généreuse pose un vrai problème de droit(s), transforme le locataire en «sous-propriétaire», en usufruitier de fait, le sous-locataire en victime. Ce trait n’est pas anecdotique. C’est ça, le monde vrai.