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L’or sous un nouvel éclairage

Les récentes fluctuations du cours interdisent de le voir uniquement comme une valeur refuge.

Fabrizio Quirighetti
Fabrizio Quirighetti
12 novembre 2020, 21h42
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Il n’est plus pos­sible aujourd’hui de présenter l’or uniquement comme une valeur refuge, bien qu’il fût longtemps considéré comme tel. On risque en effet de vite tomber dans la tromperie sur marchandise. Les récentes fluctuations du cours de l’or interdisent aujourd’hui toute schématisation de ce genre. Il fut peut-être un temps où le métal jaune avait tendance à crever le plafond quand les investisseurs, pris de panique, grimpaient aux rideaux, mais ce n’est désormais plus le cas. Car la dynamique du marché et de ses acteurs a changé. Pour s’en convaincre, il suffit de s’attarder sur le comportement de l’once d’or cette année.  Après un long rallye, elle avait fini par franchir le seuil des 2’000 dollars en août mais, à la fin octobre, elle était redescendue aux alentours des 1’850 dollars. Malgré l’arrivée de la deuxième vague de covid et les craintes de nouveau ralentissement économique.  En 2008, au moment de la faillite de Lehman Brothers, en pleine crise des subprimes, l’or avait piqué du nez de la même façon et l’once n’avait alors atteint les 1’900 dollars, son plus haut, que trois ans plus tard, en 2011. A l’époque, il avait principalement bénéficié des largesses des banques centrales. Dans la réalité, les obligations d’État de première qualité, ou les devises de financement telles que le yen et le franc suisse, peuvent revendiquer beaucoup plus facilement ce statut envié de valeur refuge en cas de vent de panique sur les marchés actions.

Le prix de l’or est soudé aux taux réels américains 

Les principes auxquels obéit l’or sont devenus beaucoup plus complexes, bien plus en tout cas que les seules réactions épidermiques des investisseurs. D’un point de vue technique, le cours de l’or, exprimé en dollars, est d’abord et surtout animé par l’évolution des taux d’intérêts réels. Il s’agit des taux nominaux offerts par le Trésor américain à 10 ans, dont on soustrait l’inflation prévue aux États-Unis, telle qu’elle apparaît dans les Treasury Inflation Protected Securities. La relation entre le prix de l’or et les taux réels américains saute aux yeux tant leurs courbes se calent parfaitement l’une sur l’autre depuis 15 ans. Elles se marquent à la culotte, comme se plaisent à dire les journalistes sportifs. Les minima et maxima de l’or correspondent au début et à la fin des cycles d’assouplissement de la Fed. Plus les taux réels sont élevés, moins l’or est attrayant en tant que réserve de valeur. La situation actuelle, avec des taux de 0,8% sur 10 ans aux États-Unis et une inflation moyenne d’environ 1,8% attendue ces dix prochaines années, engendre une répression financière qui pénalise les épargnants. Et plus les taux réels sont négatifs, plus le prix de l’or augmente. Voilà pour les grandes lignes. A court, moyen et long terme, les perspectives sur l’or sont donc étroitement liées aux anticipations d’inflation et à l’évolution des taux nominaux. Ces éléments dépendent eux-mêmes des trajectoires de croissance et de politique monétaire, ainsi que de nombreux autres facteurs tels que les déficits publics ou les taux de change. A court terme, pour ces 3 à 4 prochains mois, c’est plutôt une baisse contenue du prix de l’or qu’il faut envisager, avec une hausse des taux d’intérêt plus rapide que les attentes en matière d’inflation. C’est le scénario qui prévaut aux lendemains des élections américaines. Les investissements massifs dans les infrastructures promis par Biden ne vont pas seulement stimuler les attentes d’inflation mais aussi les perspectives de croissance et donc, in fine, une augmentation des taux réels. A moyen terme, d’ici 2022 à 2023 on peut en revanche s’attendre à de nouveaux records pour l’or, capable de repasser au-dessus 2000 dollars l’once dès l’an prochain. Car la Fed maintiendra une politique monétaire très accommodante, peut-être même en utilisant le contrôle de la courbe des taux pour maintenir notamment ceux à long terme sous contrôle, et ce malgré la reprise de la croissance nominale. Comme en 2009 et 2013, la reflation poussera les taux réels à la baisse alors que les taux nominaux seront plafonnés. Enfin, sur le long terme, au-delà de 2024, tout se laisse envisager. Premier cas de figure: l’or retombe sous les 2’000 dollars l’once dans un scénario déflationniste japonais où l’économie américaine ne parviendra pas à atteindre une vitesse de sortie suffisante pour sortir du piège de la dette. Scénario opposé, quelque peu extrême: la Fed joue à l’hélicoptère-money pour «créer» de l’inflation afin d’alléger le fardeau de la dette. Le prix de l’or pourrait alors dépasser tranquillement les 3000 dollars l’once. Dans ce contexte, les investisseurs basés en dollar ou en livre sterling doivent peut-être allouer à l’or une part plus importante que les investisseurs basés sur le franc suisse ou l’euro. En d’autres termes, sans vouloir froisser qui que ce soit, le franc suisse pourrait presque passer en ce moment pour «l’or des pauvres». *Chief Investment Officer, Decalia