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L’immobilier sera-t-il la prochaine victime?

Le nouveau contexte de politique monétaire laisse craindre un retournement marqué de certains marchés. Voici ce qu'il faut envisager pour le secteur de la pierre. Par Mikaël Safrana.

Des villes telles que Francfort (photo), Toronto et Hong Kong ont atteint des niveaux de bulle, selon l'indice d'UBS.
KEYSTONE
Des villes telles que Francfort (photo), Toronto et Hong Kong ont atteint des niveaux de bulle, selon l'indice d'UBS.
Mikaël Safrana
Banque Heritage - Head of Advisory
20 octobre 2022, 15h22
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Si d’aucuns doutaient encore de la fin de la répression financière amorcée dans le sillage de la crise financière, les interventions de Jerome Powell à Jackson Hall et de Christine Lagarde peu après auront fini de les convaincre. Cet interventionnisme a connu son apogée lors de la crise du Covid-19, où les politiques du «quoi qu’il en coûte» ont ajouté l’outil de «l’argent hélicoptère» aux instruments déjà surexploitées d’expansion de bilan et de taux d’intérêt structurellement bas. Dans un environnement de croissance faible et de niveau d’endettement élevé, leur but était de provoquer une relance conjoncturelle via la stimulation de la consommation alors que les outils traditionnels de la politique économique montraient leurs limites.

Cette relance se basait essentiellement sur la promesse que le coussin du couple Etat – banque centrale serait toujours là pour nous protéger et sur l’«effet de richesse» à travers une hausse de la perception de la fortune menant à une augmentation des dépenses. Le tout à moindres frais pour les Etats pouvant alors se financer à des taux très faibles. Ces mécanismes auront sans doute principalement profité aux détenteurs du capital, bénéficiant de la hausse inexorable des marchés financiers. Tout cela au détriment des petits épargnants dont la rémunération des avoirs n’a fait que baisser et des travailleurs dont les revenus n’ont que peu augmenté. A une exception près: les propriétaires immobiliers.

L’immobilier sera-t-il la prochaine victime?

Alors que l’«effet de richesse» demeure débattu dans le milieu académique, notamment à propos de la fortune mobilière, il est beaucoup plus tangible s’agissant de la fortune immobilière (Case, Shiller & Quigley, 2006-2013). Une hausse semblable à celle de 2001-2005 aux Etats-Unis entraîne une hausse des dépenses de 4,3% et une baisse de l’ordre de celle de 2005-2009, une réduction de 3,5%. Les marchés immobiliers ayant bénéficié des mêmes soutiens que les autres actifs risqués, nombre de régions ont atteint des niveaux de bulles selon l’indice UBS. Francfort, Toronto, ou Hong Kong sont en tête, suivies de Zurich, Vancouver et Stockholm. Phénomène mondial donc, et source de l’enrichissement sur papier de nombreux ménages. Reste qu’avoir un toit sur sa tête est indispensable et que la hausse des coûts du crédit, mais aussi de l’énergie et des matières premières pourraient mettre à mal cet équilibre précaire si les prix venaient à vaciller: effet richesse négatif, voire incapacité de financement. Aux Etats-Unis, les paiements d’hypothèques en pourcentage des revenus ont déjà dépassé les niveaux de la crise des subprimes. Le marché chinois a été récemment l’exemple parfait de ces exubérances et mettra des années à s’assainir.

Il est dorénavant clair que la priorité de la Fed n’est plus de se montrer accommodante

Mikaël Safrana

Il est dorénavant clair que la priorité de la Fed n’est plus de se montrer accommodante alors même que l’inflation ressurgit à des niveaux records, conséquence des injections massives de liquidités, de la sortie de la crise du Covid-19 et du choc des matières premières lié à la guerre en Ukraine. Les banques centrales du G7, faisant face aux mêmes défis, lui emboîtent le pas à différents degrés d’intensité. Le coût social d’un statut quo n’est tout simplement pas absorbable alors que les écarts de richesse se sont tant creusés. Doit-on dès lors craindre un retournement marqué de certains marchés immobiliers dans un contexte de resserrement durable des conditions financières?

L’immobilier sera-t-il la prochaine victime?

Contrairement à la crise des subprimes et hormis le cas de la Chine, la «bulle» immobilière est essentiellement liée à l’effet surpuissant d’une longue période de baisse des taux nominaux et réels. Les banques sont désormais mieux préparées car les régulateurs ont imposé des contrôles macroprudentiels comme les exigences de fonds propres ou les contraintes de taux d’efforts. Bien que la charge des intérêts augmente, les emprunteurs sont de meilleure qualité qu’auparavant. Il n’y a par ailleurs pas de suroffre de logements, ce qui devrait soutenir les prix à moyen terme.

Il existe des raisons de s’inquiéter, notamment si l’inflation venait à déraper et si les taux réels devaient redevenir durablement positifs

Mikaël Safrana

Le risque systémique est donc moindre que lors de la dernière crise. Il existe néanmoins des raisons de s’inquiéter, notamment si l’inflation venait à déraper et si les taux réels devaient redevenir durablement positifs. Les caisses de pension, en quête d’alternatives, ont également constitué des stocks d’immobilier importants, souvent à des prix élevés et à faibles rendements. Quid de la valorisation de ces investissements dans un contexte plus tendu? Seront-elles amenées à être plus encadrées dans le futur, à l’instar de l’investissement privé? Les régions ou villes fortement surévaluées seront les plus à risque d’un retournement soudain. Le marché allemand a déjà amorcé une baisse sensible.

Il y a fort à parier que le marché immobilier va ralentir dans ce nouveau contexte plutôt que se retourner de manière généralisée. Une tendance déjà observée dans les villes ayant bénéficié des plus fortes augmentations. L’«effet de richesse» deviendra certainement négatif, exacerbant le risque récessif pour l’économie par le retour de l’épargne de précaution. L’investissement dans la pierre devra se faire avec plus de discernement, cette classe d’actif offrant historiquement une bonne protection contre l’inflation. Le pire scénario demeure celui d’une récession forte et d’une inflation faible, voire d’une déflation, qui pourrait bien finir par se matérialiser si les banques centrales venaient à resserrer trop vite et trop fort les conditions de liquidité.

L’immobilier sera-t-il la prochaine victime?

La Chine demeure clairement exclue, alors que pour une fois les Etats-Unis ne sont pas en si mauvaise posture. En Europe, la situation est très hétérogène et il est trop tôt pour se réengager. La composante immobilière de l’allocation d’actifs nécessitera des solutions plus spécialisées, afin de continuer à jouer pleinement son rôle. Les marchés privés, notamment, offrent d’intéressantes perspectives de rendement via le financement de projets immobiliers ou d’opérations de marchands de biens. Les rendements avoisinent les 10% et le taux de déchet est historiquement faible, contenu par un environnement favorable. Des opportunités subsistent, relativement décorrélée, pour qui sait les choisir.

>>Ce texte est issu du magazine Indices. Retrouvez le cinquième numéro de l'année dès demain sur notre site<<