L’abandon de la politique du zéro Covid est de bon augure pour l’économie chinoise cette année, renforçant ainsi un contexte macroéconomique mondial déjà prometteur pour les marchés émergents. La croissance des marchés développés a mieux résisté que prévu, l’inflation globale mondiale semble avoir atteint son point culminant et la Réserve fédérale américaine (Fed) pourrait bientôt atteindre la fin de son cycle de resserrement. Alors que les marchés des pays émergents (ME) devraient largement bénéficier de ces tendances, les changements structurels à plus long terme liés à l’alignement des relations commerciales mondiales auront des répercussions diverses dans les marchés émergents.
Les pays émergents sont prêts à tirer profit de l’élan cyclique de la Chine
Depuis la crise financière mondiale de 2008, l’influence de la Chine sur la croissance des ME s’est accrue et est désormais plus importante que celle des Etats-Unis et de la zone euro. Selon les données fournies par les acteurs du secteur (Fonds monétaire international et J.P. Morgan), une augmentation d’un point de pourcentage de la croissance chinoise entraîne une hausse de 0,2 à 0,4 point de pourcentage de la croissance des pays émergents. Bien que ce chiffre puisse représenter une surestimation pour le cycle actuel, étant donné la propension marginale plus faible de la Chine à consommer des biens des pays émergents plutôt que leurs services, cette évolution devrait néanmoins soutenir la croissance des pays émergents.
Un examen plus approfondi des bénéficiaires de la croissance chinoise fait apparaître trois groupes principaux de pays:
1. Les économies asiatiques fortement tributaires des secteurs chinois de la consommation et des services devraient être celles qui en tirent le plus grand avantage. En l’occurrence, les dix destinations les plus prisées par les touristes chinois sont l’Australie, la Thaïlande, le Japon, Hong Kong, la Malaisie, les Etats-Unis, Singapour, le Royaume-Uni, Macao et l’Indonésie.
2. Les exportateurs de matières premières, tels que certains pays d’Amérique latine, devraient moins bénéficier de l’impact général des prix sur les marchés des matières premières que des effets directs de la demande chinoise. Ce canal sera sans doute moins important que lors des cycles précédents, car la reprise sera principalement alimentée par la consommation. Or, celle-ci est moins axée sur les produits de base que l’investissement qui, quant à lui, constituait le moteur de la croissance chinoise.
3. De façon plus générale, les ME devraient bénéficier de l’impact indirect sur la croissance mondiale et le sentiment du marché, ce qui permettrait de compenser l’effet cyclique du ralentissement attendu dans l’économie mondiale.
Réorientation des relations commerciales
Alors que la croissance chinoise semble prête à repartir, les frictions géopolitiques et commerciales entre la Chine et les Etats-Unis risquent de persister, avec d’importantes répercussions sur l’ensemble des marchés émergents.
La stratégie américaine est passée d’une politique de concurrence bilatérale à des mesures restrictives plus importantes appliquées au commerce pratiqué par l’intermédiaire de tiers. Par conséquent, cela pourrait de plus en plus conduire les économies asiatiques à adopter une position neutre.
Parmi les pays bien placés pour bénéficier de délocalisations à proximité, le Mexique se distingue par ses liens commerciaux, financiers et économiques étroits avec les Etats-Unis. L’accord commercial USMCA (U.S. - Mexico - Canada Agreement) implique une réduction des coûts directs liés aux tarifs douaniers, aussi bien que des coûts indirects également plus bas et des mécanismes de règlement clairs en cas de litige. Au Mexique, les coûts unitaires de main-d’œuvre sont désormais plus bas qu’en Chine, tandis que la proximité avec les Etats-Unis permet de réduire les frais de transport. Dans les importations américaines de véhicules automobiles, la part de marché du Mexique s’est accrue de 3,9% depuis 2018. Les données sur les investissements directs étrangers (IDE) du Mexique indiquent également une augmentation dans le secteur manufacturier depuis 2019.
Les tendances à moyen terme observées dans les chaînes d’approvisionnement chinoises affectent les ME de diverses manières. Il s’agit notamment d’un déplacement en aval de la production, vers des régions avoisinantes produisant à moindres frais, par exemple le Vietnam et le Bangladesh. Les investissements directs de la Chine dans ces régions ont fortement augmenté, de même que ses exportations vers ces pays, comparativement au reste du monde (voir graphique). En amont, en particulier dans les flux commerciaux liés à la tech, Taïwan a gagné des parts par rapport à la Corée et au Japon, sans doute en raison de considérations géopolitiques et de coûts.
Nous pensons que ces tendances se poursuivront sur le long terme. Les exportateurs chinois chercheront probablement à explorer de nouveaux marchés dans les pays en voie développement et les pays émergents, dans le but d’atténuer l’impact des restrictions américaines.
Pour les pays émergents, cela signifie qu’ils devront tenter de concilier les stratégies des Etats-Unis et de la Chine. Certains pays sauront profiter naturellement de cette évolution, tandis que d’autres chercheront à rester géopolitiquement neutres. Il en résultera sans doute un paysage plus différencié et multipolaire des pays émergents.