À chaque fois qu’un nouvel acteur ou un nouveau produit fait son apparition, le principal défi pour ceux qui observent cette émergence consiste à gérer l’inconnu.
Qui sont ces nouveaux concurrents, en quoi consistent leur offre et, surtout, comment mesure-t-on leur utilité? C’est ce qui s’observe dans le domaine de l’investissement durable en général, où professionnels et académiciens s’efforcent de trouver une taxonomie (plus ou moins) unifiée.
C’est aussi ce qui s’observe plus précisément sur le marché de l’investissement d’impact, dont le développement rapide au cours des dix dernières années fait émerger des enjeux cruciaux liés à la transparence et au benchmarking.
Sponsorisé par le SECO et près de 20 gérants de fonds d’impact et réalisé par la société d’investissement suisse Symbiotics, la première édition du rapport consacré à l’impact investing par des fonds privés, Private Asset Impact Fund Report 2020, est le premier du genre et apporte, selon nous, deux contributions majeures. Il détaille de façon exhaustive la structure des actifs, la composition des portefeuilles, les indicateurs de risque, la base d’investisseurs et les performances d’impact de véhicules de placement exclusivement privés (dette et fonds propres) et ayant un biais d’impact.
La deuxième contribution est de se concentrer sur des actifs sous-jacents basés exclusivement dans les pays émergents et autres pays en développement (pays frontières).
De nouvelles stratégies complétant la microfinance
Basée à Genève, Symbiotics explique que sa recherche a historiquement consisté en des études et analyses de techniques et approches de gestion des véhicules d’investissement axés sur la microfinance. Mais le groupe a pris acte du développement rapide des solutions d’investissement d’impact. «Les objectifs de développement durable ont en effet suscité l’émergence de nouvelles stratégies autres que la microfinance, face à un besoin colossal de capitaux privés pour les atteindre», explique Ramkumar Narayanan, research manager chez Symbiotics.
Le premier rapport sur la performance financière des fonds d’impact, publié en 2018 en partenariat avec le Global Impact Investing Network (GIIN), a en outre confirmé aux yeux de Symbiotics le besoin du marché pour des données dépassant la seule dimension financière.
L’enquête de Symbiotics couvre ainsi 157 fonds d’impact privés ou private asset impact funds (PAIFs) affiliés à 78 sociétés d’investissement représentant ensemble 22 milliards de dollars d’actifs sous gestion, soit environ deux tiers de la taille de ce marché estimée aujourd’hui à 33 milliards.
Sur un total d’impact valorisé à 715 milliards de dollars à l’échelle globale (pays développés et en développement compris), 38% (272 milliards) correspondent à des stratégies d’actifs non cotés en bourse. De ce montant, 159 milliards sont investis dans les marchés émergents et frontières.
Prédominance
de la dette privée
«Durant la crise de la covid, ces fonds ont affiché une certaine résilience, les actifs sous gestion (AuM) demeurant stables jusqu’ici cette année, parallèlement à une performance légèrement supérieure à 1%», souligne Roland Dominicé, CEO de Symbiotics. Qui précise que 35% des actifs de fonds PAIFs sont gérés depuis la Suisse. Représentant plus de 60% des classes d’actifs des PAIFs, la dette est de loin l’instrument privilégié, loin devant les fonds propres (equity), pesant pour 22% de l’échantillon, et les fonds mixtes (17%).
La dette privée, plus précisément, totalise plus de 15 milliards de dollars au sein des instruments utilisés par les PAIFs. Soit 81% des portefeuilles, ceux-ci étant généralement constitués de dette senior, lit-on dans le rapport. S’agissant de la taille des fonds, les PAIFs gérant les plus gros volumes d’actifs sont également des fonds de dette, avec des AuM de 172 millions de dollars en moyenne par fonds, contre une moyenne de 141 millions toutes tailles confondues. En revanche, la taille moyenne d’un fonds equity n’est que de 58 millions de dollars, quoi qu’en constante croissance.
En termes sectoriels, plus de la moitié (55%) des PAIFs sont spécialisés dans la microfinance, premier secteur d’allocation. Avec un peu plus de 10,8 milliards de dollars investis à fin 2019, la microfinance s’accapare ainsi de 58% des portefeuilles des fonds d’impact. Les investissements en santé et en éducation sont les moins volumineux avec seulement 290 millions de dollars. «Ceci s’explique par le fait que ces secteurs tendent à être financés à grande échelle par le secteur public avec un besoin immédiat plus faible d’apports en capitaux privés», souligne le rapport. Qui ajoute que ces fonds, qui adoptent généralement des stratégies de dette, sont contraints de se diversifier, ce qui se traduit par des placements individuels plus nombreux mais de taille plus petite.
«Un secteur qui affiche aujourd’hui une grande résilience face à la Covid»
La Covid suscite d’importants besoins de financement de la part des fonds d’impact privés, largement dominé par des instruments de dette et le secteur de la microfinance. Toutefois, leur caractère relativement décorrélé des cycles leur permet d’enregistrer des performances stables, même face à des chocs externes extrêmes. Pour Ramkumar Narayanan, research manager chez Symbiotics à Genève, les stratégies axées sur la microfinance, plus matures que les stratégies ESG, leur sont complémentaires.
Dans quelle catégorie de classe d’actifs peut-on classer les PAIFs?
En réalité, ce type d’investissement est surtout considéré en termes de stratégie plutôt que de classe d’actifs. Toutefois, au vu des caractéristiques des solutions que nous structurons en termes d’actifs visés et de liquidité, nous voyons nos produits comme des produits alternatifs.
La microfinance, qui a commencé à se développer bien avant les stratégies ESG telles que nous les connaissons aujourd’hui, aurait-elle contribué à la popularité de ces dernières?
Je ne sais pas si c’est le cas, mais ce qui est certain c’est que la dimension sociale que l’on retrouve aujourd’hui dans la partie «S» de l’acronyme ESG a toujours été présente dans la microfinance, dès lors que son objectif initial était de financer les ménages à bas revenus. En cela, la microfinance se distinguait des investissements ESG au moment de leur création vers 2004-2005, où le critère social reposait sur un filtre négatif consistant à exclure les entreprises dont les activités étaient considérées comme controversées. Cette terminologie a aujourd’hui changé et la dimension sociale des investissements ESG s’apparente quelque peu à celle de la microfinance. De fait, les deux approches, à savoir l’investissement d’impact via la microfinance et les stratégies ESG sont clairement devenues complémentaires et leurs critères d’évaluation d’impact reposent tous deux sur des filtres positifs.
Le cadre réglementaire des pays en développement est généralement faible avec peu de contrôle sur les pratiques des entreprises informelles, micros ou de très petite taille. Comment conciliez-vous cette réalité avec vos objectifs de développement durable?
Nous disposons de spécialistes chargés de s’assurer que les entreprises que nous finançons atteignent leurs objectifs économiques tout en se conformant aux principes des objectifs de développement durable. Ces experts sont basés sur place pour couvrir ces régions souvent politiquement fragiles et constituent le premier point de contact pour nos clients. Ces spécialistes proposent également aux partenaires locaux des services de capacity building ou d’acquisition de compétences.
Enfin, nous procédons à des analyses approfondies de la manière dont les sociétés dans lesquels nous investissons traitent leurs employés et leurs clients. Ce qui amène nécessairement une réflexion sur la durabilité potentielle des projets que nous finançons.
Comment la microfinance subit-elle la pandémie?
La situation est difficile en raison du confinement et nous avons observé d’importants besoins de refinancement de la part des entreprises. Cela dit, les investisseurs privés et publics continuent d’offrir leur soutien, notamment en répondant à ce besoin de refinancement de la microfinance. Cela reste clé afin d’éviter une crise de liquidité dans ce secteur qui affiche aujourd’hui une grande résilience face à la covid en termes de performances et reste stable par rapport aux autres classes d’actifs dans la finance plus traditionnelle.
Ce que l’on sait également, c’est que de nombreux fonds de dette ont constitué des provisions comptables entre le premier et le deuxième trimestre et commencent à voir leurs performances revenir en territoire positif.
Cela dit, il est encore trop tôt pour évaluer de façon précise toutes les implications financières de cette crise sanitaire. D’après notre enquête, les managers de PAIFs s’attendent à voir la valeur de leurs actifs diminuer de 1,5% cette année en raison de la crise du covid. Les fonds climatiques et énergétiques devraient accuser une baisse d’un peu plus de 6% cette année, tandis que les actifs des fonds axés sur la santé et l’éducation, qui sont plus récents et partent d’une base plus petite, pourraient néanmoins enregistrer une hausse de 35% environ.
Qu’est-ce que l’investissement d’impact?
L’«impact investing» ou investissement d’impact a pour objectif spécifique d’engendrer un impact social et/ou environnemental tout en générant un rendement positif sur le long terme. L’intentionnalité relative à la soutenabilité ou durabilité de l’impact, comme c’est le cas pour les produits financiers ESG, est au cœur de la philosophie d’investissement, par opposition aux stratégies consistant à exclure des projets sur la base de normes standards.
En tant qu’investissement financier, l’investissement d’impact est de manière prédominante un placement indirect, dans la mesure où le propriétaire des capitaux ou souscripteurs recourent à des véhicules d’investissement (fonds de placement traditionnels et alternatifs, ETF, investissements structurés, fonds à but non lucratif, fondations etc.), ces entités intermédiaires étant celles qui investissent directement dans la dette ou les actions émises par l’entreprise.
La société suisse Symbiotics fournit des solutions d’investissement d’impact depuis 2005, en se spécialisant dans la structuration de financements privés (dette et fonds propres) pour les entreprises de taille micro, petite et moyenne situées dans les pays émergents et frontières. Symbiotics a structuré environ 4000 transactions pour plus de 450 entreprises dans près de 90 pays émergents et frontières, dont les actifs totaux représentent aujourd’hui plus de 5,5 milliards de dollars.
Les principales souscriptions proviennent de plus de 25 mandats de gestion et plus de 50 sociétés de gestion pour compte de tiers.