Consommé chaque jour à plusieurs reprises et sous différentes formes par plus de la moitié de la population mondiale, le blé est aujourd’hui un produit clé de la sécurité alimentaire mondiale. De plus en plus stratégique, le négoce international de cette matière première doit s’envisager en termes géo-économiques et diplomatiques.
Tout d’abord, sa production est très inégalement répartie sur la planète. Les grands greniers à blé se trouvent en Amérique du Nord, en Inde, en Chine, en Europe, sur les rivages de la mer Noire et en Sibérie, mais aussi en Australie et en Argentine. Cultivé dans près de 120 pays, le blé est produit à 80% dans 15 d’entre eux uniquement.
Par ailleurs, de nombreux Etats sont «hyper dépendants» de leurs importations pour nourrir leurs populations. C’est le cas principalement des pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient où la rareté en eau et en terres fertiles combinée à la forte poussée démographique crée une extrême vulnérabilité. Quand il vient à manquer, le blé peut être un déstabilisateur économique et social dans ces pays.
800 millions de tonnes de blé sont produites dans le monde, mais seulement 200 millions sont échangées sur le marché international dont 30% par la Russie et l’Ukraine. En moins de 20 ans, la Russie a réussi à prendre la tête du classement mondial des exportateurs bouleversant ainsi la géopolitique du blé. En effet, les matières premières et le développement agricole ont joué un rôle clé dans le redressement de la Russie voulu par Vladimir Poutine depuis le début des années 2000. La production russe de 2000 à 2021 a ainsi dépassé celle des Etats-Unis et le pays exporte 30% de ses moissons.
Cette position sur le marché des céréales a permis à Moscou de tisser de nouvelles alliances dans le monde et de pénétrer de nouveaux marchés. 10 pays africains dépendent aujourd’hui de la Russie à plus de 50% dans leurs importations de blé. Si on additionne les exportations de blé russe et ukrainien, ce sont 16 pays qui sont dépendants à plus de 50% de ces pays pour leur sécurité alimentaire. Un des cas les plus préoccupants est le Liban qui ne dispose que d’un mois de réserve de blé.
Après le début de la guerre en Ukraine, le prix des céréales a atteint 400 € la tonne en mars 2022, un record historique insoutenable pour beaucoup de pays importateurs, avec des répercussions graves sur leur sécurité alimentaire.
Nourrir une population en croissance, dans un contexte de raréfaction des ressources et de transformation des rapports de forces économiques, constitue l’un des enjeux les plus complexes du 21e siècle. Le blé illustre comment une matière première alimentaire influe sur la géopolitique et les relations de pouvoir entre les Etats. Face aux dynamiques socio-démographiques et aux disparités territoriales, les stratégies des principaux pays importateurs et exportateurs s’affirment et nous rappellent avec force le caractère stratégique de l’agriculture.