Maîtriser les dépenses publiques. Depuis la Grande crise financière de 2008 et après le Covid-19, la rigueur budgétaire est visiblement réduite à une relique intellectuelle d’une ère pétrie par la tradition. Comme s’il n’y avait désormais plus de limite à l’endettement public (et externe). Le renversement brutal et rapide de l’ancien ordre industriel par les GAFA et leur impact déflationniste ont jusqu’ici pu contenir une inflation qui aurait explosé sans ce bouleversement schumpetérien.
En tant que système de taxation climatique reposant sur l’idéalisme, promue et largement financée par les États, la transition énergétique pourrait produire l’effet inverse. À savoir de la mauvaise inflation. Celle qui retire du pouvoir d’achat aux consommateurs et aux entreprises (et qui dévalorise les obligations nominales). Un peu comme si ces derniers allaient cesser de voter dans les hypermarchés et les conseils d’administration. Ce qui serait la fin de la démocratie consumériste ou actionnariale... Un scénario de base se dégage: plus de dette, moins de taux, pour une croissance qui n’est pas acquise. C’est celui de Pascal Gilbert, gérant chez DNCA (Groupe Natixis).
Les banques centrales et les gouvernements sont certes expansionnistes, mais les gains de productivité issus des nouvelles technologies ne peuvent-ils pas atténuer l’inflation?
Heureusement qu’il y a eu la révolution numérique des 30 dernières années, mais il y a un moment où cela s’atténue. Le secteur agricole, que je connais bien, a lui aussi, connu sa révolution numérique, avec l’installation de satellites sur les tracteurs et autres gadgets. Mais les rendements par hectare n’augmentent pourtant plus. Ce que je veux dire par-là, c’est que les gains de productivité découlant des innovations technologiques ont aussi leurs limites dans le temps.
Si l’inflation revient, quelle sera la réaction des banques centrales face à celle-ci?
Dans notre scénario de base, les États et les banques centrales vont continuer à tout faire pour soutenir leurs économies respectives. En Europe, même si la BCE constate une inflation dépassant sa cible, elle ne devrait pas immédiatement réagir. Ce qui veut dire que les taux longs ne bougeront pas forcément, parce que ceux-ci sont contrôlés par la banque centrale via ses interventions sur les marchés, dès lors qu’elle cherche à durablement limiter le coût d’emprunt des États.
Il va en effet falloir que les États se financent à un taux inférieur à la croissance nominale du PIB, la croissance nominale étant la somme de la croissance réelle et de l’inflation pour alléger le fardeau de l’endettement. Le problème est que la croissance réelle, après le Covid-19, a pris un sacré coup. Personnellement, je ne crois plus que l’Europe puisse durablement afficher un taux de croissance égal ou supérieur à+ 1,5%, compte tenu notamment de sa baisse de productivité et de sa démographie vieillissante. Donc, le seul moyen pour les États de pouvoir se financer à faible coût c’est de créer encore plus d’inflation.

Vous voulez donc dire que la grande différence par rapport aux injections monétaires de la décennie écoulée réside dans le fait que celles-ci soient désormais accompagnées de dépenses publiques directement dans l’économie réelle?
Il y a un économiste que j’ai connu et que j’aime beaucoup, Charles Gave, qui a souligné un fait notable. Il dit: «Ce n’est pas compliqué. Les entreprises sont expansionnistes et déflationnistes, les États sont récessionnistes et inflationnistes». Une entreprise cherche en effet à se développer, augmenter son chiffre d’affaires et pour cela soit elle développe un produit moins cher, soit elle développe un produit de qualité mais plus cher. L’État, lui, a pour vocation le partage de la richesse, ce qui finit par créer, à long terme, un ralentissement économique. En cela, il est récessionniste. Et inflationniste en ce qu’il remplit cet objectif récessionniste principalement en augmentant les impôts et les taxes.
On voit bien que partout et à chaque fois qu’il y a une crise, l’État reprend la main. Crise de 2008, l’État s’empare des banques. C’est l’État, via leurs régulateurs, qui, pratiquement, décide aujourd’hui quand une banque peut distribuer des dividendes ou doit lever des capitaux pour ses fonds propres. Idem dans l’automobile, après que certains groupes privés ont triché sur le diesel. Ce secteur est désormais très régulé. Or la crise du Covid-19 n’échappera pas à cette tendance, après que l’État aura injecté beaucoup d’argent via ses plans de relance et son pacte vert, beaucoup de secteurs vont être régulés
On en conclut que l’orthodoxie budgétaire qui caractérisait tant l’Union européenne est un phénomène appartenant au passé. Les pouvoirs publics parlent d’endettement sans ressentir la moindre gêne…
Le discours orthodoxe lié aux dépenses publiques est derrière nous. On en parle plus. D’autant que les pressions sociales devraient s’exacerber en raison de la destruction des capacités de production causée par le Covid-19. Si, demain, des mouvements de protestation revendiquent plus d’argent, l’État n’hésitera pas à le leur accorder, ne serait-ce que pour maintenir la paix sociale.
Quelles peuvent-être les implications stratégiques en termes d’investissement obligataire?
Si l’inflation monte, il faut que les taux réels baissent davantage encore. Selon moi, les taux court termes nominaux sont floorés, la BCE ne voulant pas entrer en territoire excessivement négatif, afin de ne pas déclencher une ruée bancaire par laquelle les déposants retireraient soudainement leurs avoirs pour les placer sous l’oreiller. En ce sens, les obligations d’État indexées à l’inflation devraient générer à terme à la fois des rendements supérieurs aux obligations souveraines et une grande sécurité. Même les obligations d’entreprise affichent des rendements relativement faibles, tandis que le haut rendement présente quand-même des risques élevés.