L’invasion du Capitole à Washington par des partisans du président sortant Donald Trump n’a pas empêché l’indice Dow Jones à New York de marquer un nouveau record historique mercredi. Des événements inédits sur la scène politique laissent les marchés financiers de marbre. Jeudi matin, les marchés actions européens ont ouvert en hausse également. Explications de Samy Chaar, chef économiste chez Lombard Odier.
Wall Street est resté en hausse malgré l’invasion du Capitole. Pourquoi?
Il faut distinguer entre les éléments qui comptent pour l’économie, et ceux qui ont moins d’importance. Deux événements ont marqué la journée de mercredi. La signification de l’invasion du Capitole est en grande partie politique, une sorte de dernier baroud d’honneur de Donald Trump. Ce mouvement est toutefois trop désorganisé pour provoquer un véritable coup d’Etat. Le fait que ces gens aient pu entrer représente plutôt une énorme faillite des forces de sécurité. Une fois qu’ils étaient dedans, ils étaient quand même un peu perdus. Reste que la symbolique est forte et le dégât d’image politiquement conséquent dans une société plus clivée que jamais.
En revanche, la majorité non contestée des démocrates au Sénat obtenue par la victoire lors des élections en Géorgie est très importante. Elle signifie la continuité au niveau des dépenses publiques, qui sécurise la reprise et peut aussi compenser des dégâts provoqués par le Covid-19. Aujourd’hui, la victoire de Joe Biden a été entérinée. Par conséquent, il n’y a plus de perturbation possible de Trump au niveau institutionnel et juridique. Il n’a pas renversé la majorité à la Chambre des Représentants, et a perdu le Sénat, et la Maison Blanche.
Cette invasion ne risque-t-elle pas de déboucher sur une période d’instabilité prolongée?
C’est plutôt l’inverse. Cet épisode a révélé que Donald Trump n’a plus aucun soutien. Le vice-président Mike Pence et le chef de la majorité sénatoriale Mitch McConnell l’ont laissé tomber, l’armée ne le défend pas non plus. Personne ne peut arriver au pouvoir sans le soutien de certaines institutions.
Mais la société américaine est très divisée, avec des camps politiques qui sont quasiment à 50:50.
Oui, évidemment. Mais ce qui se passe est très lié à Donald Trump. Le trumpisme peut-il vraiment survivre sans lui? Le processus électoral est allé de l’avant quand même.
Cette polarisation ne peut-elle pas ralentir l’économie?
Elle a effectivement un impact sur la productivité. Les inégalités augmentent, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi ailleurs dans le monde, au niveau de la santé, de la distribution des richesses, de la formation. La réduction de ces écarts et de la disparité dans la formation doit être une mission prioritaire pour le nouveau président.
La «vague bleue», les démocrates majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat, s’est finalement concrétisée. Quelles en sont les conséquences?
Il peut y avoir plus de dépenses, mais les démocrates ne peuvent pas forcément imposer une nouvelle politique. Pour faire cela, ils devraient disposer d’une majorité pouvant résister aux transfuges, soit à 60% au moins. Cela signifie aussi que des dépenses devront être compensées par de nouvelles rentrées. Il n’y aura guère d’augmentation de la régulation dans le domaine des tech, ni de hausses massives des taux d’imposition. Il ne faut pas s’attendre à une politique signature très forte. Mais cela facilite les nominations à la Fed et à la Cour suprême, puisqu’une majorité simple suffit.
Cette issue des élections est-elle donc particulièrement favorable à l’économie?
C’est l’un des meilleurs scénarios possibles. Les relations internationales vont se retrouver améliorées également.

Les nouvelles dépenses ne vont-elles pas mettre le dollar sous pression?
Du côté du franc suisse et de l’euro, les éléments ont dans leur majorité déjà été intégrés dans les cours. Ce sont plutôt les devises émergentes qui ont un potentiel de rattrapage. En revanche, c’est du côté des taux d’intérêt que les choses ont commencé à bouger. Les taux des bons du Trésor à dix ans sont repassés au-dessus de la barre des 1%.
Les investisseurs doivent-ils garder la tête froide ou procéder à des repositionnements?
De notre côté, nous avons repositionné le portefeuille de sorte à pouvoir bénéficier de la reprise du commerce mondial. Cela veut dire pondérer plus fortement l’Asie, les marchés émergents, voire l’Europe, et alléger un peu les Etats-Unis, même si les tech américaines continueront de jouer un rôle important.
Et au niveau sectoriel?
Avec les taux longs qui repartent à la hausse, ce sont les valeurs industrielles, les matériaux, les matières premières, les capitalisations plus petites, les titres plus cycliques qui redeviennent plus intéressants, s’ils sont plus fortement liés au commerce mondial. Et pourquoi ne pas prendre en considération les financières?