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La transition énergétique: éviter une nouvelle malédiction des ressources 

Aujourd'hui, les investisseurs et la société civile souhaitent faire partie de la solution et non du problème.

Les ressources nécessaires à la transition énergétique se trouvent notamment dans des pays à bas revenus qui affichent des résultats très mitigés en termes de gouvernance et de développement suite à de précédents booms des matières premières. 
Keystone
Les ressources nécessaires à la transition énergétique se trouvent notamment dans des pays à bas revenus qui affichent des résultats très mitigés en termes de gouvernance et de développement suite à de précédents booms des matières premières. 
Gilles Carbonnier
IHEID - Professeur d'économie du développement
17 mars 2023, 6h54
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Le cobalt, le nickel et le lithium font partie des métaux et minerais essentiels à la transition énergétique et la transformation numérique. Ces ressources se trouvent notamment dans des pays à bas revenus qui affichent des résultats très mitigés en termes de gouvernance et de développement suite à de précédents booms des matières premières

Prenons le cas du premier producteur mondial de cobalt – la République démocratique du Congo. Le pays est souvent cité pour illustrer un phénomène connu sous le nom de malédiction des ressources. Si le pays a extrait de grandes quantités de métaux et minerais au cours des dernières décennies, il souffre d'un manque de diversification économique, d'une pauvreté endémique, de conflits armés prolongés, d’institutions fragiles et de dégradations environnementales. 

Les boycotts abrupts mettent en péril les moyens de subsistance d'innombrables familles de mineurs artisanaux vulnérables

Aujourd'hui, les investisseurs et la société civile attendent que la transition énergétique fasse partie de la solution et non du problème. Dès lors, comment le boom de matières premières essentielles à cette transition peut-il profiter aux pays producteurs ainsi qu’à leurs habitants sans nuire à leur environnement? Quels enseignements tirer du passé et que faire différemment? 

Depuis les années 1990, les économistes ont étudié le «paradoxe de l'abondance»: les pays riches en ressources naturelles ont tendance à afficher des performances plus faibles en matière de développement que les pays dépourvus de matières premières. Les résultats de recherche mettent en cause des dynamiques d’ordre économique, politique et environnemental: 

1. Les recettes en devises étrangères ont tendance à apprécier la monnaie nationale. Les importations deviennent moins chères et concurrencent la production locale. En parallèle, les exportations de produits agricoles et manufacturés deviennent moins compétitives sur les marchés internationaux. Il en résulte un manque de diversification économique et une dépendance accrue aux exportations de matières premières, ce qui rend les pays producteurs très vulnérables à la volatilité des cours. 

2. En outre, l'optimisation fiscale et les flux financiers illicites érodent leur base fiscale, les privant de revenus qui devraient être réinvestis dans le développement durable.  

3. Les Etats producteurs tirant l'essentiel de leurs recettes fiscales du secteur des matières premières ont tendance à se sentir moins redevables envers leur population et à s'engager dans des politiques clientélistes. En outre, la lutte pour la captation de la rente pétrolière ou minière augmente le risque de conflits armés de longue durée, par exemple pour le contrôle des sites d'extraction et des routes commerciales. 

4. Les activités minières ont un impact néfaste sur l'environnement lorsque des produits chimiques toxiques sont utilisés dans le processus d'extraction sans mesures de précaution adéquates. La contamination des cours d’eau et des nappes phréatiques nuit à la santé publique et à l’agriculture. L’exploitation minière artisanale qui se développe autour des sites d’extraction industrielle vient aggraver cet impact. 

S'il est difficile d’éviter tous les écueils, des pays producteurs ont réussi à contrer certaines de ces dynamiques, que ce soit le Chili avec une planification budgétaire incluant la volatilité des cours, ou la Norvège avec son fonds souverain pour les générations futures. Mais aujourd'hui, il s’agit de changer d’approche: penser en termes de stocks plutôt qu’en termes de flux, suivant les notions de soutenabilité forte et faible et de comptabilité environnementale: lorsqu'un pays extrait des ressources non renouvelables, il épuise son capital naturel et s’appauvrit. Pour maintenir son niveau ​ de ​richesses, il doit réinvestir un montant au moins équivalent sous forme de capital physique et humain. A ce titre, trois domaines sont clés: 

La fiscalité: les Etats doivent être en mesure de réinvestir la rente issue de l’exploitation de ressources naturelles dans la santé, l'éducation, les infrastructures et l’environnement. La réforme de la fiscalité mondiale menée sous l’égide de l'OCDE est un pas dans la bonne direction en ce qui concerne le taux minimum d'imposition des sociétés. Mais elle n'est pas adaptée aux pays fortement dépendants des matières premières. D'autres méthodes simplifiées s’avèrent plus adaptées pour permettre aux États ayant de faibles capacités fiscales de prélever les ressources nécessaires au renforcement de leur capital humain et physique. 

Gestion des revenus: les fonds souverains peuvent jouer un rôle dans la lutte contre l'appréciation de la monnaie. La gestion de tels fonds nécessite l’élaboration de mécanismes de surveillance efficaces dans des contextes institutionnels fragiles. Les initiatives de gouvernance multipartites, telle que l’ITIE (Initiative de Transparence des Industries Extractives), contribuent à l'instauration de la transparence et au contrôle de l'allocation des fonds en fonction des priorités de développement. La confiance générée par une plus grande transparence des flux financiers réduit les griefs potentiels et offre une meilleure traçabilité du commerce de matières premières. A cet égard, les avancées scientifiques incluant la technologie blockchain, les conteneurs intelligents et l’usage de données géoréférencées offrent des pistes intéressantes. 

Environnement: il est essentiel de réduire l'empreinte écologique d’une ruée sur les matières premières liées à «l’économie verte». A côté de l'exploitation minière industrielle, des millions de mineurs artisanaux gagnent leur vie dans des conditions sociales et environnementales désastreuses, comme l'exploitation artisanale de l'or ou du coltan le démontre. Ces activités minières informelles sont souvent de facto réglementées et taxées par les autorités et d’autres acteurs. Les boycotts abrupts mettent en péril les moyens de subsistance d'innombrables familles de mineurs artisanaux vulnérables. Il est donc essentiel de mettre en place des politiques de formalisation progressives, adaptées à chaque contexte, pour offrir des alternatives à ces familles. 

En somme, les pistes existent pour contrer les risques de malédiction des ressources associés à la transition énergétique et à la transformation numérique. Il faut toutefois que les États, les entreprises, la société civile et le monde scientifique remettent en question les idées reçues, tirent les leçons du passé et investissent dans des approches novatrices pour contrer les dynamiques économiques, politiques et environnementales qui sous-tendent cette malédiction.