Les maux qui ont plombé les marchés en 2022 ne sont-ils pas sur la voie d’une atténuation? Bien évidemment, il ne faut pas extrapoler les signes de détente apparus en fin d’année sur le très tendu front géopolitique. Il est à noter toutefois un ton plus constructif entre les Etats-Unis et la Chine lors du dernier sommet du G20. En outre, la question de l’ouverture de négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine apparaît désormais dans les discours de toutes les parties. Pour les marchés, la principale atténuation se situe au niveau de l’inflation américaine, dont le premier signe de ralentissement apparu en novembre a suscité une forte progression des actions et des obligations.
La désinflation comme un aimant
Si un mouvement de désinflation au cours des deux prochaines années peut être anticipé, pour l’heure il ne s’agit que d’une désinflation temporaire aux Etats-Unis. Le retour à la normale des chaînes de production ainsi que la chute des prix des matières premières (si elle n’est pas prochainement contredite) et du fret militent pour un tassement de l’inflation via le prix des biens pour quelques mois, tandis que la contraction en cours des prix de l’immobilier américain plaide pour un ralentissement des prix des loyers à partir du second semestre. Pour autant, le marché du travail demeure très tendu et les salaires continuent à croître en tendance à 5%, ce qui est compatible avec une inflation globalement autour de 4%. Or, la désinflation du moment, essentiellement technique, réinjectera du pouvoir d’achat, ce qui ne plaide ni pour une récession significative ni pour un ralentissement marqué des salaires. Autrement dit, la désinflation telle que perçue par les marchés ne sera pas nécessairement en ligne droite. C’est pourtant sans aucun doute la tendance de fond qui donnerait une direction aux marchés en 2023.
La question de la récession reportée à 2023
Si, sous le coup de l’inflation, la croissance a plié en 2022, elle est loin d’avoir rompu. Les profits des entreprises cotées ont ainsi été bien plus solides que prévu jusqu’ici, notamment en Europe, ce qui a été remarquable vu le contexte. Une récession légère est anticipée aux Etats-Unis et une plus significative en Europe avec des marges d’entreprises en déclin. Autrement dit, nous anticipons un recul des profits en 2023.
La liquidité: le véritable point noir
La politique de «quantitative tightening» (resserrement quantitatif) se poursuit aux Etats-Unis ainsi que dans d’autres pays et devrait s’enclencher prochainement en Europe. L’impact de ces politiques sur les marchés est complexe et difficile à appréhender. Les phases de rétrécissement de liquidité ont pu historiquement provoquer d’importants trous d’air sur les marchés, le dernier exemple en date étant le krach du quatrième trimestre 2018. On ne peut donc exclure le retour sans prévenir de ce type de phénomènes.
On notera qu’au-delà de la liquidité liée aux banques centrales, il y a aussi la question de la liquidité des marchés. Elle est très faible. Les flux ont donc plus d’impact sur les prix de marchés qu’avant.
La dégradation de la liquidité nous invite à rechercher des protections dès que leur coût se réduit et ceci indépendamment du scénario global. En effet, si les très mauvaises situations de la liquidité n’impliquent pas nécessairement une correction, nul ne pourra nier que le contexte augmente la probabilité d’un choc possible mais imprévisible.
Les actions globalement sans pessimisme ni enthousiasme
Quel est impact pour les marchés d'actions? D’un côté, la récession redoutée l’an prochain est la crainte la mieux partagée par les investisseurs et ne réservera que peu d’effets de surprise à la différence des précédentes récessions. En ce qui concerne les marchés d’actions, la désinflation soutiendra les multiples de valorisation au même titre que l’inflation les a pénalisés en 2022. De l’autre, on n’a jamais vu historiquement une récession sans un impact négatif sur les marchés d’actions. Il ne faudra pas compter en 2023 sur un soutien des banques centrales pour aller à la rescousse de l’économie ou des marchés financiers, contrairement aux récessions précédentes.
Les marchés anticipent que la Réserve fédérale américaine (Fed) commencera à baisser ses taux dès le second semestre, ce qui nous semble invraisemblable vu le discours très ferme de la Fed sur la nécessité de maintenir des taux élevés pendant de longs mois et le niveau de l’inflation qui, quoiqu’en ralentissement, restera encore bien trop élevée par rapport aux normes des banques centrales. Or le soutien des banques centrales en récession est très important pour les investisseurs, car il les aide à anticiper la sortie de crise.
Au regard de cette analyse et de la problématique de liquidité, il est compliqué d’être particulièrement optimiste concernant les marchés d’actions. Il est tout aussi difficile d’être pessimiste: les investisseurs sont peu exposés à la classe d’actifs et restent prudents, ce qui signifie que la moindre bonne nouvelle peut se traduire par de fortes hausses, d’autant plus que la liquidité des marchés est faible. Historiquement, les meilleurs points d’entrée sont au cœur de la récession. Il faudra probablement rester patient avant de remonter les expositions.
Santé et Big Data
Dans un contexte de stabilisation de la politique américaine et de probable normalisation de la politique économique chinoise après une période très difficile qui a fait plonger la croissance, nous estimons que les actions émergentes, après une longue période de contreperformance, affichent le plus fort potentiel de rebond.
Les actions américaines, dans une moindre mesure, devraient tirer leur épingle du jeu. En effet, la contre-performance du style croissance très représenté au sein du S&P 500, qui a été orchestrée par la remontée des taux américains, a moins de raisons de se poursuivre vu la proximité de la fin du cycle de hausse de taux américain. Les actions européennes, à l’opposé des actions américaines, ont su profiter de la très forte remontée des taux aux Etats-Unis via l’appréciation du dollar qui a dopé les bénéfices de ces entreprises très exportatrices. Or le dollar devrait se stabiliser l’an prochain avec les taux directeurs américains. En revanche, les actions européennes devraient profiter de la normalisation progressive de l’économie chinoise que nous anticipons pour 2023. Elles resteront sensibles à la crise énergétique ainsi qu’à l’évolution du conflit en Ukraine sur lequel nous ne ferons aucune spéculation, mais avec l’intuition que le profil semble plus symétrique qu’il y a quelques semaines. Les actions européennes, qui ont résisté beaucoup mieux que prévu rétrospectivement, au regard des dommages subis par l’Europe en 2022, peuvent à nouveau surprendre positivement, ce qui rend la classe d’actifs incontournable dans les portefeuilles.
Ainsi, ça n’est pas tant l’allocation géographique qui selon nous fera la différence, ni même le style (entre la croissance et la value) mais la recherche d’entreprises profitables, pas trop endettées et en situation financière de se livrer à des acquisitions. La thématique de la santé devrait continuer à surperformer, le secteur à la valorisation attractive ayant une croissance structurelle et étant peu sensible aux aléas du cycle. La révolution du Big Data et la poursuite de la diffusion de son usage au sein des différents secteurs de l’économie continuent à offrir de belles opportunités. Enfin, dans un contexte où le rapport au travail subit de profondes évolutions, nous sommes persuadés que les entreprises vont structurellement intensifier leurs investissements dans le capital humain.
Les obligations plutôt que les actions
On retrouve déjà sur certains marchés obligataires des rendements proches ou dépassant l’hypothèse normative de performance des marchés d'actions à long terme (autour de 7% par an). La volatilité implicite des emprunts d'Etat est historiquement élevée tandis que celle des marchés d’actions ne l’est pas alors qu’il est entendu que nous sommes proches d’une récession. Tout ceci porte la marque d’une défiance élevée des investisseurs vis-à-vis des marchés obligataires, ce qui ne constitue pas une surprise après l’année écoulée. Cette tendance n’en constitue pas moins une opportunité.
Sans aucun doute, notre confiance dans le mouvement de désinflation conduit à plus de visibilité sur le potentiel du marché obligataire, d’autant plus que les rendements se sont reconstitués. Outre le portage, au plus haut depuis des années, le risque de moins-value en capital semble bien plus limité sur les maturités intermédiaires et plus longues. Prenons l’exemple du marché obligataire américain où la politique monétaire est déjà en territoire restrictif. Si l’inflation devait remonter encore plus, les marchés anticiperaient davantage de resserrements de taux et donc aussi les chances d’une récession suffisamment sévère pour casser l’inflation. Les taux courts se tendraient donc mais de moins en moins au fur et à mesure de l’allongement des maturités au point que les taux très longs pourraient même éventuellement baisser. C’est beaucoup plus évident aux Etats-Unis qu’en Europe, qui n’a pas encore une politique monétaire restrictive et qui de surcroît est moins lisible. Toutefois, étant donné l’impact du marché obligataire américain sur le reste du monde, nous sommes tentés d’extrapoler cette logique.