De nouvelles personnes ont été épinglées dimanche dans une vaste enquête journalistique sur l'opacité des sociétés offshore. La plupart des transactions révélées dans les "Pandora Papers", publiés par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), ne sont pas illégales. Mais l'enquête met en lumière le décalage entre le discours anti-corruption de certains leaders et leur usage extensif des paradis fiscaux.
Le roi Abdallah de Jordanie
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, le roi Abdallah de Jordanie a acquis 14 propriétés luxueuses aux Etats-Unis et au Royaume-Uni grâce à un réseau de sociétés situées dans des paradis fiscaux comme les îles Vierges.
Pour 106 millions de dollars, il a acheté trois villas avec vue sur la mer à Malibu, en Californie, et des propriétés à Londres et Ascot (Royaume-Uni), selon cette enquête.
Ses avocats ont assuré au consortium qu'il avait utilisé sa fortune personnelle et a eu recours à des sociétés offshore pour des raisons de sécurité et de discrétion.
Le premier ministre tchèque Andrej Babis
Avant de devenir premier ministre, le milliardaire tchèque Andrej Babis a placé 22 millions de dollars dans des sociétés écrans qui ont servi à financer l'achat du château Bigaud, une grande propriété située à Mougins, dans le sud de la France. Il ne les a pas mentionnés sur sa déclaration de patrimoine quand il est entré en politique, d'après les Pandora Papers.
Le Premier ministre, qui est mis en cause dans une affaire de fraude aux subventions européennes et de conflit d'intérêt, affronte des élections législatives les 8 et 9 octobre. Assurant ne rien avoir commis d'illégal, il a dénoncé dimanche une manoeuvre destinée à le "dénigrer" avant le scrutin.
Le couple Blair
L'ancien Premier ministre britannique Tony Blair et son épouse Cherie ont acquis en 2017 un immeuble de bureaux en achetant une société dans les îles Vierges qui était propriétaire des lieux. La transaction leur a permis d'économiser environ 400.000 dollars d'impôts, rapporte l'ICIJ.
Le président kenyan, sa mère, son frère et ses soeurs
Le président kenyan Uhuru Kenyatta a fait de la lutte contre la corruption et de la transparence dans la vie publique un marqueur de son discours. Mais lui et six membres de sa famille, dont sa mère, un frère et deux soeurs, disposent d'au moins 30 millions de dollars sur plusieurs sociétés off-shore, écrit le consortium.
Imran Khan, héros de la lutte anti-corruption
Imran Khan s'est fait élire à la tête du Pakistan à l'été 2018 sur un programme anti-corruption après la destitution de Nawaz Sharif, emporté par les révélations des "Panama Papers", une autre enquête de l'ICIJ sur les fonds offshore.
Selon le consortium, des membres de sa famille et de son gouvernement possèdent des millions de dollars sur des comptes offshore. Sur Twitter, le Premier ministre a assuré qu'il "enquêterait" sur tous les citoyens pakistanais mentionnés dans les Pandora Papers".
Le fils de 11 ans du président de l'Azerbaïdjan
Des proches du président de l'Azerbaïdjan Ilham Aliev -- régulièrement visé par des accusations de corruption -- ont réalisé des transactions immobilières opaques au Royaume-Uni, dont l'achat contre 45 millions de dollars d'un immeuble de bureaux au nom de son fils de 11 ans, Heyder, rapporte la BBC.
Dominique Strauss-Kahn
Dominique Strauss-Kahn, l'ancien ministre français et ex-directeur général du Fonds monétaire international, a fait transiter plusieurs millions de dollars d'honoraires de conseil à des entreprises par une société marocaine exempte d'impôts, selon les documents examinés par l'ICIJ.
Shakira et Claudia Schiffer
La chanteuse colombienne Shakira et la mannequin allemande Claudia Schiffer possèdent aussi des comptes offshore. Selon leurs agents, il ne s'agit pas d'évasion fiscale, rapporte le consortium.
Le mafieux Raffaele Amato
Le chef mafieux Raffaele Amato, qui a inspiré le film Gomorrah, a lui aussi fait usage d'une société écran pour acheter des terre en Espagne. Lié à de nombreux meurtres, il purge une peine de 20 ans de prison.(ATS)
A la source, le Consortium international des journalistes d'investigation
L'enquête, à laquelle ont collaboré environ 600 journalistes, est baptisée "Pandora Papers", en référence à la légende de la boîte de Pandore. Elle s'appuie sur quelque 11,9 millions de documents, qui proviennent de 14 sociétés de services financiers, et a mis au jour plus de 29.000 sociétés offshores. Une source anonyme a remis ces données au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), basé à Washington. Le Consortium les a ensuite partagées avec des partenaires dans le monde entier.
90 sociétés suisses seraient impliquées
D'après les recherches, 90 sociétés suisses de conseil - des cabinets d'avocats, des notaires et des cabinets de conseil - seraient impliquées dans ces activités, a précisé l'ICIJ sur son site internet.
Entre 2005 et 2016, au moins 26 entreprises helvétiques auraient apporté leurs services à des clients dont les sociétés offshore se sont retrouvées sous enquête pour blanchiment d'argent et autres délits financiers. "Dans la plupart des cas, ces sociétés ont joué le rôle d'entremetteur en mettant en relation les clients avec des sociétés de services offshore", a détaillé l'ICIJ.
Au total, l'enquête a dévoilé des informations sur 14 sociétés de services financiers et 29'000 sociétés offshores.
"Conforme aux obligations juridiques"
Dans ce contexte, l'ICIJ a notamment relevé le nom de Fidinam, entreprise luganaise de conseil fiscal et de comptabilité. Cette dernière a indiqué dans un communiqué au collectif de journalistes que ses "entités suisses se conforment et se sont conformées dûment aux obligations juridiques et régulatoires en vigueur en Suisse et aux régulations applicables au niveau international".
Fidinam n'a cependant pas répondu aux questions sur ses clients, en raison de ses obligations "de respect de la vie privée, de conformité et de secret professionnel". L'entreprise n'a pas non plus répondu aux questions sur ses filiales offshore et n'a pas dans l'immédiat répondu aux sollicitations d'AWP.
Au total, des liens ont été établis par le consortium de journalistes entre des actifs offshore et 336 dirigeants et responsables politiques de premier plan, qui ont créé près de 1000 sociétés, dont plus des deux tiers aux Iles Vierges britanniques.
Dans la plupart des pays, ces faits ne sont pas susceptibles de poursuites. Mais dans le cas des dirigeants, l'ICIJ met en parallèle le discours anti-corruption tenu par certains d'entre eux avec leurs placements dans des paradis fiscaux.
Contacté par Keystone-ATS, le Secrétariat d'Etat aux questions financières (SIF) a estimé qu'il n'y avait pas matière à agir. La Confédération se conforme aux standards internationaux contre le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale, a-t-il répondu.
L'ONG Public Eye a par contre appelé le Conseil fédéral dans un communiqué "à boucher dans les plus brefs délais les failles législatives autorisant ces pratiques".
"Des avocats et des fiduciaires suisses proposent à leurs clients influents des structures d'entreprises clé en main afin de cacher leur argent dans des paradis fiscaux via des sociétés écran", a précisé l'organisation, estimant que ces pratiques facilitent "l'évasion fiscale, la criminalité et la corruption à grande échelle".
Selon l'ONG, les victimes de ces pratiques sont les citoyens de ces pays. "Au lieu de construire des écoles et des hôpitaux, cet argent permet de financer des villas privées et des yachts", a-t-elle ajouté.(AWP)