Comme la voiture, la viande est un important facteur d’émissions de gaz à effet de serre. Tous deux sont aussi des marqueurs sociaux, ce qui en fait des sujets clivants, où très souvent l’on est «pour» ou «contre»… Pourtant, si on se limitait à une utilisation sobre de voitures sobres, on aurait déjà bien avancé. Et si on se contentait de la viande provenant de bêtes nourries de nos prés, ce serait également beaucoup de gagné.
Car pour satisfaire notre appétit démesuré de produits carnés, on rase des pans entiers de la forêt tropicale pour faire place à de vastes élevages de bovins et à d’immenses monocultures de soja administré à notre bétail. L’impact climatique est double: on réduit la capacité de la végétation à fixer du carbone et augmente les émissions de méthane en proportion de l’augmentation des effectifs de ruminants. Et, alors que l’herbe de nos pâturages suffirait largement au bonheur de nos troupeaux, nous importons par an 250.000 tonnes de tourteaux de soja pour augmenter les performances de nos animaux de rente.
Certes, notre organisme a besoin de protéines. Mais les légumineuses en sont aussi une excellente source, d’autant plus que manger trop de viande rouge, surtout transformée, est reconnu cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mettre fin à ces importations de viande et de soja, réduire les densités animales dans les régions de plaine où les alternatives culturales sont nombreuses (par exemple la plantation de légumineuses), seraient tout bénéfice pour la santé de l’environnement et la nôtre.
Une étude publiée ce printemps par des chercheurs suisses et britanniques (Low-carbon diets can reduce global ecological and health costs) estime à 14.000 milliards de dollars les externalités négatives de l’agroalimentaire mondial en termes de santé humaine (60% de ce montant) et d’environnement (40%); pour chaque dollar dépensé, il faut en ajouter deux en impacts négatifs. Ces coûts pourraient être divisés par deux en réduisant la part du secteur animal.
Changer des habitudes n’est jamais simple et il faut s’attendre à ce que cette harmonisation des politiques agricoles et alimentaires suscite de fortes résistances.
René Longet
Voici un peu plus d’une année, dans son rapport Orientation future de la politique agricole, le Conseil fédéral soulignait que «la population suisse se nourrit de manière non équilibrée, consommant trop de sucre, de sel, d’alcool, de graisses animales et de viande, et pas assez de produits laitiers, de légumineuses, de fruits et de légumes» (p. 47). Dès lors, il se positionnait pour une réduction de 69% de la consommation de viande et de 42% de celle de sucre (p. 22).
Or, notre taux d’autosuffisance alimentaire est à l’opposé de ces préconisations, étant de 80 à 100% pour les denrées carnées et laitières, mais bien plus bas pour les fruits à noyaux, les huiles végétales, les légumes et les légumineuses. C’est pourquoi l’Office fédéral de l’agriculture (Ofag) souhaite promouvoir un rééquilibrage de la production agricole entre protéines animales et végétales.
Mais changer des habitudes n’est jamais simple et il faut s’attendre à ce que cette harmonisation des politiques agricoles et alimentaires suscite de fortes résistances, arguant que «l’Etat n’a pas à se mêler de ce que nous mangeons». Toutefois, ce sont les contribuables qui financent les subventions agricoles, de l’ordre de 3,5 milliards de francs par an, et nous sommes tous concernés par ce qui en est fait.