La décision du Conseil fédéral d’interdire l’exportation de 96 chars Leopard 1, entreposés en Italie et appartenant à Ruag, suscite des réactions négatives. Ces chars devaient être remis en état en Allemagne avant d’être envoyés en Ukraine. Les Pays-Bas étaient prêts à en assumer les frais.
La position de la Suisse convainc le parlement néerlandais de ne plus acheter des armes suisses et d'appeler d’autres pays à faire de même. L’Allemagne a décidé de reprendre la production de munitions pour le char Gepard afin de ne pas dépendre de la Suisse. Si d’autres pays européens décident de suivre le mouvement, l’industrie suisse de l’armement pourrait subir un dommage élevé. Elle n’est pas rentable pour les seuls besoins de l’armée suisse et dépend donc de ses exportations pour sa survie.
Ainsi, la Suisse s’enferme dans une contradiction inextricable. D’une part elle maintient une industrie de l’armement afin d’assurer sa défense, comme elle en a expérimenté la nécessité lors de la Seconde Guerre mondiale. D’autre part, elle prétend que la neutralité exige non seulement qu’elle ne fournisse pas d’armes aux belligérants, mais aussi qu’elle interdise aux acheteurs d’armes ou de munitions suisses de les réexporter vers l’Ukraine. Dès lors ses clients considèrent forcément la Suisse comme un producteur non fiable, qui ne concède pas à ses clients la pleine propriété de ce qu’ils ont dûment payé.
La Suisse n’a pas été envahie parce que c’était l’intérêt pragmatique de l’Allemagne et parce qu’elle a sacrifié les exigences de sa neutralité au bénéfice de sa sécurité
Jacques Neirynck
Cela pourrait entraîner des conséquences graves qui signifieraient la mort de l’industrie suisse de l’armement et la fin d’une politique de défense indépendante. Or, la neutralité suisse comprend l’obligation de défendre le territoire national en cas d’invasion, d’où l’importance de cette industrie d’armement. Pour l’abstraction d’une vertu politique théorique, le pays accepte de nuire à ses intérêts concrets et même à son obligation de neutralité.
On éprouve le sentiment d’une politique non maîtrisée, incohérente à force de rigidité. On en vient à se demander ce que le concept de neutralité recouvre encore, un embarras bien plus qu’un avantage. Poussée jusqu’au bout de sa logique, elle se révèle contradictoire: pour être tout à fait neutre, on détruit la garantie de la neutralité. Comme au fond elle ne servirait à rien en cas de menace d’invasion et comme on le sait, on peut l’accommoder en argument bas de gamme pour année électorale.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse a exporté des armes pour huit milliards de francs d’aujourd’hui, vers l’Allemagne nazie. Ce n’est pas sa neutralité proclamée qui l’aurait protégé, car l’Allemagne n’a pas respecté celle des pays du Benelux. Poutine comme Hitler n’en est pas à s’embarrasser de chiffons de papier. La Suisse n’a pas été envahie parce que c’était l’intérêt pragmatique de l’Allemagne et parce qu’elle a sacrifié les exigences de sa neutralité au bénéfice de sa sécurité.
La réalité est une guerre sur le continent qui peut s’étendre. Elle n’a plus rien à voir avec les conflits des siècles précédents. Elle appelle une réflexion pragmatique sur la sécurité et l’indépendance de la Suisse qui peut imposer l’entrée dans l’Otan.