L’Union patronale suisse a récemment exprimé le souci que le souhait grandissant de travailler à temps partiel ne pénalise la prospérité de la Suisse. Faut-il se soucier d’un appétit accru pour les loisirs?
L’analyse économique montre que ce n’est pas le cas, et ce même s’il en résulte une baisse du produit intérieur brut (PIB). Il faut en effet garder à l’esprit que le but de l’activité économique n’est pas la production en soi, mais le bien-être auquel elle contribue, lequel dépend aussi d’autres facteurs.
Que dit un modèle macroéconomique standard?
L’impact d’un changement de travail fournit, ainsi que celui d’autres changements, peut être analysé dans un modèle standard. Plus spécifiquement, nous considérons une économie avec un ménage représentatif et un horizon de temps infini. Le ménage a un panier de consommation qui comprend des biens, des services, et des loisirs, et alloue ses ressources afin de maximiser son bien-être.
L’économie produit les services et les biens, ces derniers pouvant être utilisé sous forme de capital productif plutôt que d’être consommés. Pour faire simple la production de services et de biens utilise la même technologie faisant appel au travail et au capital.
Pour commencer, la figure ci-dessous illustre l’impact dans le temps d’une baisse persistante de 10% de la productivité affectant de manière identique les biens et services.


En-haut, la figure montre que la production des services chute (ligne verte), et celle des biens encore plus (ligne bleue). L’effet plus marqué pour les biens reflète une forte baisse de leur utilisation comme investissement, car la faible productivité rend la production de capital moins intéressante, ce qui conduit à une érosion de celui-ci (ligne rouge).
La partie en-bas se concentre sur les variables affectant le ménage. La consommation des biens et services diminue de manière identique pour les deux (ligne bleue), alors que la consommation de loisir augmente quelque peu (ligne verte). Il s’agit là en fait de «vacances forcées» car la baisse de la productivité fait chuter le salaire et rend l’emploi moins intéressant.
Nous illustrons aussi la mesure de bien-être que le ménage cherche à maximiser (ligne rouge), et constatons clairement que la baisse de la productivité fait mal. Au final, le ménage voit une détérioration de son niveau de vie équivalente à une baisse de 9% de sa consommation après 50 trimestres. Les conséquences adverses d’une baisse de la productivité sont une conclusion bien connue de l’analyse économique.
L’effet de changement de préférences
Que se passe-t-il si le ménage se met à valoriser les services plus fortement, relativement aux biens? La figure ci-dessous montre l’effet d’un accroissement de 10 points de pourcentage du poids des services dans le panier de consommation.


Ce changement de préférence n’a aucun impact sur le PIB, mais affecte sa composition. La production de biens baisse (ligne bleue dans la partie en-haut) alors que celle de services augmente (ligne verte). Comme la productivité du capital n’a pas varié, il n’y a aucune raison d’en produire plus ou moins suite à la hausse de l’attrait des services, car produire ceux-ci demande aussi du capital.
Le changement de la structure de production se reflète dans la consommation (partie en-bas). Le ménage réduit sa consommation de biens (ligne bleue) et accroît celle de services (ligne orange, la différence d’ampleur par rapport aux biens reflète le fait qu’initialement les services représentent une plus grande partie du panier que les biens). Comme le changement porte sur la préférence entre biens et services, mais pas sur la préférence entre ces deux et le loisir, le ménage ne change pas la durée de son travail (ligne verte).
Au final, le ménage voit son bien-être augmenter (ligne rouge) car sa consommation est maintenant réorientée vers une catégorie qui prodigue plus de bénéfices. En fait, il ne viendrait à l’idée de personne de s’inquiéter de ce changement, car l’économie s’adapte pour satisfaire au mieux des préférences qui ont évolué. Notons que la hausse de bien-être serait aussi présente si les préférences du ménage s’étaient modifiées en faveur des biens, car si nous avions alors un effet inverse sur la composition du PIB, il représenterait toujours une réorientation vers les catégories les plus prisées.
Le ménage voit son bien-être augmenté, car il ajuste son comportement économique vers les activités les plus bénéfiques
Cédric Tille
Pourquoi alors être en souci lorsque le changement de préférences se fait non pas entre biens et services, mais entre ceux-ci et les loisirs? La figure ci-dessous montre l’impact d’une hausse de 10 points de pourcentage du poids des loisirs dans le panier de consommation (biens, services, et loisirs).
La partie en haut montre clairement que l’économie connaît une baisse durable du PIB, avec une contraction de la production de services (ligne verte) et de biens (ligne bleue). La figure est en fait quasiment identique à celle dans le cas d’une baisse de la productivité. Comme dans ce cas, la production de biens chute de manière plus forte car la réduction de la demande pour les biens et services rend le capital moins nécessaire, ce qui conduit à une réduction de ce dernier (ligne rouge). A voir cette partie de la figure, on pourrait en retirer une conclusion alarmiste.


Mais cette conclusion serait erronée, car il faut considérer la partie en-bas. Nous voyons que la réorientation des préférences vers les loisirs conduit à une baisse similaire de la consommation de biens et de services (ligne bleue), alors que la consommation de loisirs augmente fortement (ligne verte). Le ménage voit son bien-être augmenté, car il ajuste son comportement économique vers les activités les plus bénéfiques.
En fait, la partie droite de la figure est similaire à celle dans le cas du changement de préférence entre biens et services. Notons que la hausse du bien-être est particulièrement prononcée à court terme. Cela est dû au fait que le stock de capital reste élevé initialement, ce qui permet de produire biens et services qui demeurent appréciés, puis diminue, entraînant une consommation réduite de biens et services. Il n’en demeure pas moins que le bien-être est accru sur tout l’horizon temporel.
Ne pas confondre production et bien-être
Notre analyse est une illustration du principe général en analyse économique que l’activité économique ne vise pas la production marchande en soi, mais le bien-être du ménage. Si cette production a certes un impact important sur le bien-être, elle n’est pas la seule cause.
Il faut donc prendra garde à ne pas traiter le PIB et le bien-être comme identiques. Une baisse du PIB est une mauvaise nouvelle si elle reflète une détérioration des fondamentaux comme la productivité. Mais ce n’est pas le cas si la baisse du PIB reflète un choix conscient des ménages de prendre plus de loisirs.
Au même titre qu’on ne s’alarme pas d’un changement de préférences entre biens et services, il n’y a pas de raison de s’alarmer d’un changement similaire entre consommation marchande et non marchande.