Cet été, «L’Agefi» publie en exclusivité 10 chapitres du livre paru cette année de Dominique Freymond dans lequel il partage son expérience d’administrateur d’entreprise.
Résumé
La filiale suisse d’une multinationale a racheté différentes sociétés en Suisse afin de prendre une importance nationale. Toutefois, quelques petits actionnaires d’une des compagnies n’ont pas voulu vendre toutes leurs actions. Cela ne représente qu’un faible pourcentage du capital de la filiale, mais cette situation crée des enjeux non négligeables, notamment dans l’organisation formelle des assemblées générales et dans la politique de versement des dividendes.
Anecdote
Une assemblée générale ordinaire est convoquée pour le mois prochain. Le Conseil discute des modalités de son organisation, approuve les différents documents nécessaires (rapport d’activités, comptes d’exploitation et bilan, rapport des réviseurs, etc.) et rédige ses recommandations. Il adopte l’ordre du jour standard qui prévoit notamment le versement d’un important dividende à la société mère.
L’assemblée se tient au siège de l’entreprise et devrait se dérouler rapidement. Ulrich, administrateur et représentant de la maison mère, actionnaire à plus de 90%, dispose de la procuration nécessaire. Cependant un avocat indépendant, avec d’autres procurations, est aussi présent. Toutes les décisions sont prises sans grande discussion. La main levée d’Ulrich est sans appel, car il dispose de la majorité absolue. Gérard, nouvel administrateur, s’étonne toutefois de cette réunion. Il pensait que la filiale était détenue entièrement par la maison mère. Le président lui explique que, dans le cadre de son importante croissance par fusion, quelques petits actionnaires réfractaires ne veulent toujours pas vendre leurs actions. Il est donc tenu d’organiser une assemblée générale et de respecter à la lettre son déroulement formel. Gérard s’étonne qu’un squeeze-out (procédure de cession forcée) n’ait pas permis d’obliger les petits porteurs à vendre leurs actions et ceci d’autant plus que la compagnie détient plus de 90% des droits de vote. Le droit autorise un actionnaire majoritaire à éliminer un ou des actionnaires minoritaires. Mais cette obligation de sortie ne doit pas être préjudiciable aux actionnaires minoritaires et a fortiori elle devrait être faite dans leur intérêt... Or, ces derniers estiment que le prix de rachat de leurs actions est beaucoup trop bas. Pour différentes raisons financières et fiscales, la filiale verse un dividende généreux chaque année à la société mère. Les petits porteurs en bénéficient naturellement. Pour eux, cela représente un montant confortable, versé régulièrement chaque année. Ils ne voient donc pas l’intérêt de vendre leurs actions en obtenant un versement unique qui semble relativement dérisoire face à l’accumulation des dividendes obtenus chaque année.
Il y a bien eu des tentatives pour négocier un rachat à des conditions avantageuses. Mais ces actionnaires y sont réfractaires. La compagnie ne peut qu’espérer qu’au fil des années, voire de successions ou transferts d’actions, les nouveaux porteurs seront moins intéressés à les garder. Quoique?
En attendant, elle est tenue d’organiser chaque année une assemblée générale ordinaire dans le respect absolu des règles. Les petits porteurs ne prennent pas la peine d’y participer, la présence de l’avocat indépendant leur suffit et ils ne s’intéressent en fait qu’au montant final du dividende.
Quelques pistes de réflexion
La filiale est prise dans une situation inconfortable liée à la fois à sa politique de dividende dictée par la maison mère et à l’impossibilité de pratiquer un squeeze-out. Elle ne peut que faire contre mauvaise fortune bon cœur car les autres solutions sont plus onéreuses. Une contribution importante à la maison mère sous forme de management fees représente des coûts financiers et surtout fiscaux plus importants que la faible partie du dividende versée aux petits porteurs. Et le pourcentage de ces frais demanderait des justifications qui pourraient être contestées par l’autorité fiscale.
Toute opération de fusion est complexe et doit être bien préparée pour éviter ce genre de situation. Il est préférable de convaincre tous les actionnaires de participer à l’opération plutôt que de l’exiger par une cession forcée. Cependant, dans une offre publique d’achat (OPA), l’actionnaire majoritaire va racheter le solde des actions qui ne sont pas encore sous son contrôle, à un prix donné, souvent identique à celui de l’OPA. Il doit toutefois obligatoirement le préciser au début de la procédure.

*«Gouvernance d’entreprise: l’envers du décor en 100 anecdotes», Dominique Freymond, Editions Châteaux et Attinger, 2023, 265 pages, CHF 34.-