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Quand les devises n'influencent pas la balance commerciale comme prévu

Leçon de l'expérience de la Suisse et de celle de la Turquie. Par Rudolf Minsch

«La faible élasticité-prix des importations joue un rôle important, car l’énergie est la plus grande catégorie d'importations de la Turquie.»
KEYSTONE
«La faible élasticité-prix des importations joue un rôle important, car l’énergie est la plus grande catégorie d'importations de la Turquie.»
Rudolf Minsch
Economiesuisse - Chef économiste
03 janvier 2023, 18h00
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Selon les manuels d’économie, si une monnaie nationale se déprécie, c'est bon pour les exportations, car on peut vendre moins cher à l'étranger. Les importations, devenues plus chères, diminuent en conséquence. Du coup, la balance commerciale s'améliore et le produit intérieur brut (PIB) augmente.

Pourtant, dans les faits, cette théorie est loin de s’avérer toujours exacte, comme le montrent actuellement la Suisse et la Turquie. Les deux pays sont des cas particuliers en matière d'inflation. Alors que la Suisse affiche le taux le plus bas de tous les pays de l'OCDE, la Turquie a de loin le taux le plus élevé. De plus, alors que le franc suisse est fort, la livre turque s'est littéralement effondrée.

Dans le cas de la Suisse, les exportations devraient théoriquement rencontrer des difficultés et les importations augmenter. Or depuis que la BNS a supprimé le taux plancher et que le franc s'est encore renforcé, les exportations n'ont pas diminué, mais augmenté. Grâce à l'innovation, à l'optimisation des processus et à des modèles commerciaux à forte valeur ajoutée, les exportations ont pu fortement progresser, malgré une monnaie forte, et l'excédent de la balance commerciale n'a cessé de croître.

En raison de la chute de la livre, la balance commerciale de la Turquie devrait quant à elle s’améliorer. Les exportations ont certes augmenté. Mais les importations ont augmenté encore plus rapidement. La balance commerciale s'est donc nettement détériorée, malgré la faiblesse de la monnaie.

Ce n'est que parce que l'Etat turc injecte beaucoup d'argent dans l'économie que la croissance est globalement très bonne

Rudolf Minsch

Comment cela s'explique-t-il? La faible élasticité-prix des importations joue un rôle important, car l’énergie est la plus grande catégorie d'importations de la Turquie. Combinée à la faiblesse de la monnaie, la hausse des prix de l'énergie est donc plus massive que dans un pays avec une monnaie forte. Et les ménages peuvent difficilement y échapper. De plus, les biens de consommation courante, qui viennent souvent de l'étranger ou dont la production consomme beaucoup d'énergie, ont également connu une hausse rapide des prix. Ainsi, les importations n'ont certes pas augmenté en quantité, mais en valeur.

Si les prix devaient baisser, la consommation des ménages turcs augmenterait, surtout pour les biens de valeur. Si cette hausse de la consommation ne peut pas être couverte par la production nationale, les importations augmenteront. Mais si les intrants étrangers renchérissent et que la part de la valeur ajoutée nationale est faible, l'avantage de prix qu'offre une monnaie nationale faible s'évapore.

Dans l'ensemble, le commerce extérieur de la Turquie a donc un impact négatif sur la croissance. Ce n'est que parce que l'Etat turc injecte beaucoup d'argent dans l'économie que la croissance est globalement très bonne. Et ce point-ci est en accord avec les manuels d’économie: à court terme, la croissance peut être stimulée par une politique monétaire et budgétaire expansionniste. Mais cela implique le risque d'un effondrement économique ultérieur.