Dans quelques semaines, le peuple suisse votera sur l’aide aux médias privés. Environ 150 millions de francs devraient être alloués chaque année pendant sept ans aux quelque 170 journaux et magazines, 13 TV régionales, 21 radios locales et à un bon millier de publications diverses et de plateformes en ligne. Il y a quelques années, comme journaliste, j’aurais applaudi à cette initiative. Mais aujourd’hui, j’avoue mes doutes.
Ce journal est d’ailleurs l’un des très rares médias à s’y opposer, pour des raisons qu’il a évoquées mais auxquelles on pourrait en ajouter d’autres. Je pense notamment à la liberté d’expression et au pluralisme des opinions que ce nouveau dispositif, s’il est accepté, va non pas encourager mais réduire encore davantage.
En effet, le système est ainsi conçu qu’il va d’abord profiter aux plus grands groupes de presse, en l’occurrence Ringier et tamedia (rebaptisé TX Group en 2020 pour mieux complaire aux investisseurs en bourse) qui concentrent les plus gros tirages du pays et dont la fortune consolidée a augmenté d’un demi-milliard depuis 2020 pour se classer au 102e rang suisse selon Bilan. Par simple effet mécanique, leur supériorité, déjà extravagante, va encore s’accentuer. Les petits, les associatifs, les sans-but-lucratifs qui tirent le diable par la queue, se réjouissent de recevoir les miettes mais seront encore davantage écrasés par les mastodontes. Au final, Je ne suis donc pas sûr que le public, les lecteurs, les électeurs, le débat démocratique, les régions périphériques, en ressortent gagnants.
Le problème crucial est la capacité de la presse à jouer son rôle de contre-pouvoir.
Guy Mettan
Autre argument, la diversité d’opinion. La crise du Covid montre depuis deux ans l’uniformité affligeante des médias, leur absence de critique vis-à-vis des mesures gouvernementales et de la monopolisation du pouvoir par une partie des élites médicales et sanitaires. Cet unanimisme croissant des médias à l’égard des autorités est un phénomène ancien, antérieur à la crise. Mais celle-ci l’a révélée avec éclat, les médias privés faisant ici cause commune avec la SSR.
Chacun aura son opinion sur les vaccins, l’OFSP, les mesures cantonales, le passe sanitaire. Mais là n’est pas la question. Le problème crucial est la capacité de la presse à jouer son rôle de contre-pouvoir, de quatrième pouvoir face aux trois autres, et à refléter la pluralité des opinions propre à toute démocratie. Et force est de constater que ce rôle, à quelques exceptions près, n’a pas été joué.
Au contraire, les révélations du Nebelspalter suivant lesquelles le patron du groupe Ringier, Marc Walder, a «conseillé» à l’ensemble de ses rédactions de relayer sans discuter les positions de l’OFSP et du Conseil fédéral, prouvent que les grands groupes sont prêts à renoncer à leur fonction de poil à gratter par appât du gain. Cette affaire a fait scandale en Suisse alémanique. Mais en Suisse romande, aucun journal n’en a parlé, ce qui montre bien où en est la diversité de la presse.
Cela fait froid dans le dos: si un groupe aussi puissant que Ringier, dont le journal phare, le Blick, nous avait habitué à davantage de rugosité, est aligné couvert devant l’Etat avant la votation, que se passera-t-il après, quand il s’agira de toucher les subventions fédérales? Va-t-il se mettre à ramper? A faire le trajet Zurich-Berne à genoux avec force courbettes?
Je crains que poser la question soit y répondre.