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Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?

La seconde vague de l’épidémie montre des dynamiques très différentes de celles du printemps. Par Cédric Tille

Cédric Tille
Graduate Institute Geneva - Professeur d’économie
22 décembre 2020, 13h50
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En particulier le nombre de décès n’a pas suivi la baisse – partielle – du nombre de nouveaux cas. Une analyse statistique montre que cela peut s’expliquer par la pression sur les services de soins intensifs, pression qui dure plus longtemps que durant la première vague. Si le nombre de nouveaux cas ne diminue pas rapidement, nous pourrions atteindre le seuil des 10.000 décès fin janvier.

Relations changeantes entre cas, hospitalisations et décès

La relation entre le nombre hebdomadaire de nouveaux cas et de décès montre des variations intéressantes. La figure ci-dessous montre le nombre hebdomadaire de nouveaux cas (ligne bleue) et celui de décès (ligne rouge, échelle de droite).

Graphique basé sur les sur les chiffres du site https://www.corona-data.ch/
Graphique basé sur les sur les chiffres du site https://www.corona-data.ch/

Jusqu’à début-novembre la courbe des décès suivait celle des cas avec un retard d’une à deux semaines, et l’ampleur du lien avait changé depuis le printemps du fait d’un dépistage plus limité alors. Une analyse statistique montrait que l’évolution du nombre décès durant une semaine s’expliquait essentiellement par celle du nombre de cas lors de la semaine précédente (article dans "l’Agefi" du 28 octobre). Mais les choses ont changé depuis : la baisse notable du nombre de cas depuis début novembre ne se reflète pas dans la dynamique des décès. Que se passe-t-il ?

Pour creuser cet aspect, nous pouvons mettre le modèle statistique à jour avec les nouvelles données, et l‘affiner. Un aspect nettement différent par rapport à la première vague est le nombre de personnes en soins intensifs. Au printemps il avait atteint un sommet à 404 personnes le 5 avril, et avait rapidement diminué, n’excédant 300 personnes que sur trois semaines. Depuis début novembre, ce nombre oscille autour de 500 personnes. Nous avons donc une situation avec une pression plus forte sur les soins intensifs, aussi bien en termes du nombre de patients que de la durée de la pression. Cette pression peut conduire à une hausse des décès pour un nombre donné de nouveaux car elle indique des cas plus sérieux et/ou une capacité moindre des services hospitaliers à faire face.

Le tableau ci-dessous montre les résultats de l’analyse statistique pour les flux de décès sur la semaine t, le nombre de nouvelles hospitalisation (entrées moins sorties), de nouveaux cas en soins intensifs, et de nouveaux cas sous assistance respiratoire. Dans chaque cas le tableau indique le coefficient estimé pour la relation entre les variables, la statistique de Student qui indique si la relation est due au hasard, et le pourcentage montrant la probabilité que la relation puisse être due au hasard (une valeur de moins de 5% est considérée comme acceptable). Pour éviter d’engorger le tableau, l’analyse ne retient que les variables dont l’effet n’est pas dû au hasard. Dans chacune des quatre colonnes, le modèle statistique explique entre 94 et 99% de la dynamique des variables considérées, comme le montre la statistique du R2 en bas de tableau.

Etant donné que l’étendue des tests s’est fortement accrue depuis la première vague, le modèle statistique permet à la relation entre les variables de changer depuis début mai. Un éventuel changement est reflété dans la moitié basse du tableau qui montre combien la relation a changé depuis début mai.

La première colonne montre que le nombre de décès durant une semaine s’explique en grande partie par le nombre de nouveaux cas durant la semaine précédente, et que cette relation est devenue plus modérée depuis mai (le coefficient passant de 0,035 décès par cas à 0,007 = 0,035 – 0,028 décès par cas).

Mais le nombre de nouveaux cas n’explique pas tout, et en particulier pas l’écart observé depuis début novembre entre un nombre de cas en baisse et un nombre de décès stable. Il faut donc étendre le modèle en prenant en compte le nombre de gens aux soins intensifs. Nous observons effectivement que plus le nombre de patients aux soins intensifs est élevé, plus il y a de décès (0,372 décès par personne aux soins intensifs). Est-ce que cela a changé depuis mai ? Oui, mais de manière subtile. Il s’avère que le nombre de personnes aux soins intensifs est depuis lors associé à plus de décès, pour autant qu’il y a plus de 300 personnes aux soins intensifs. En deçà de ce seuil, la relation n’est pas différente depuis mai. Cet effet de seuil reflète l’impact de la pression sur les services hospitaliers qui est plus forte durant la seconde vague.

Le nombre de nouvelles hospitalisations durant une semaine s’explique par le nombre de nouveaux cas durant cette semaine. Là aussi la relation est plus faible depuis mai reflétant la politique plus large de dépistage. Sans surprise, le flux net entre entrées et sorties de l’hôpital durant une semaine est inversement proportionnel au nombre de personnes à l’hôpital à la fin de la semaine précédente (une personne à l’hôpital est associée à 0.4 sorties supplémentaires), car les gens sortent de l’hôpital. Toutefois, cette relation s’est affaiblie depuis mai, passant de -0.4 à -0.34 = -0.4 + 0.06. Ceci indique une durée d’hospitalisation plus longue durant la seconde vague.

Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?

Le changement du nombre de personnes aux soins intensifs reflète le nombre de nouveaux cas durant la semaine et la semaine précédente, et diminue avec le nombre de personnes aux soins intensifs à la fin de la semaine précédente du fait des sorties. Là aussi nous observons que depuis mai un nombre donné de personnes aux soins intensifs est associé à un nombre réduit de sorties, indiquant des hospitalisations plus longues. La situation pour le changement du nombre de personnes sous assistance respiratoire est similaire à celle observée pour les soins intensifs.

Le modèle explique bien les flux

Bien que le modèle repose sur un nombre restreint de variables, il rend bien compte de l’évolution de la pandémie. La figure ci-dessous montre l’évolution du nombre hebdomadaire de décès (ligne bleue) et la valeur estimée par le modèle (ligne rouge). Nous voyons que les deux lignes se suivent, y compris depuis début novembre. Cette stabilité à un haut niveau reflète le nombre de personnes aux soins intensifs (une variante du modèle reposant uniquement sur le nombre de nouveau cas rate cette stabilité).

Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?

Le modèle rend aussi bien compte du changement du nombre de personnes hospitalisées, aux soins intensifs, et sous assistance respiratoire, comme le montrent les trois graphiques suivants. Notons que le modèle peine un peu à expliquer l’évolution des cas sous assistance respiratoire ces dernières semaines.

Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?
Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?

Et la suite ?

Le modèle permet de projeter l’évolution des décès et des hospitalisations. Pour cela, il suffit de lui fournir un scénario sur l’évolution des nouveaux cas. Un tel scénario est présenté dans la courbe ci-dessous jusqu’à fin janvier. Il considère un nombre de nouveaux cas stable jusqu’au 10 janvier puis une décrue graduelle.

Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?

Dans ce scénario, le nombre de décès se maintient à un haut niveau, et commence seulement à diminuer à la fin janvier. Cela se traduit par un nombre total de décès depuis le début de l’épidémie atteignant près de 10.000 personnes à fin janvier. Le nombre élevé de décès s’explique notamment par une pression durable sur les services hospitaliers.

Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?
Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?
Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?
Pourquoi tant de décès durant la deuxième vague?

Une simple analyse statistique montre clairement que la Suisse va continuer à être sous pression, en particulier si les fêtes de fin d’année conduisent la courbe des nouveaux cas à repartir à la hausse. En outre, comme la pression sur les services hospitaliers dure bien plus longtemps que durant la première vague, nous ne pouvons pas exclure que cela conduise à une hausse des décès pour un nombre donné de cas.

Death in the Swiss Second Wave

Cédric Tille's Op-Ed in English is available here.