Il est encore un peu tôt pour évaluer les conséquences économiques de la guerre en Ukraine. Seule certitude, les industries d’armement et l’économie américaine sont à la fête, et cela pour longtemps. Pour le reste, c’est moins clair.
Quelques constats s’imposent toutefois. Premièrement, l’effondrement économique de la Russie, tant espéré par les puissances occidentales, n’a pas eu, et n’aura pas lieu pour la bonne raison que seuls 37 pays ont pris des sanctions contre Moscou et que 150 d’entre eux, dont la Chine et l’Inde, ont refusé de s’aligner sur les diktats occidentaux malgré les immenses pressions subies. D’autre part, la Russie étant autosuffisante sur les plans énergétique et alimentaire, elle peut vivre en quasi-autarcie pendant longtemps, fût-ce au prix de sévères restrictions.
Les effets risquent en revanche d’être sévères pour l’Europe, qui devra non seulement importer son énergie au prix fort, ce qui va pénaliser l’industrie allemande et l’agriculture française, mais aussi parce qu’elle va devoir remettre en cause son modèle et sa philosophie économique.
Ce qui est en jeu, c’est la fin de la mondialisation libérale et du marché global
Guy Mettan
Les économistes les moins idéologisés ont bien perçu le problème: ce qui est en jeu, c’est la fin de la mondialisation libérale et du marché global, et le début d’une soviétisation des économies.
La mondialisation occidentale, axée sur la domination des puissances maritimes - Etats-Unis, Grande-Bretagne, Japon pour faire court - est en train de laisser la place à une re-mondialisation plus continentale, dont l’Eurasie, les nouvelles routes de la soie et la triade Russie, Chine et Inde seront l’épicentre.
Ce sera sans doute lent et laborieux. Mais le mouvement ne peut que prendre de l’ampleur et s’accélérer dès que des systèmes de paiement hors dollar et hors Swift deviendront de plus en plus effectifs. L’Asie continentale, et derrière elle l’Asie du Sud-Est, Indonésie, Malaisie, Vietnam, Malaisie, de même que certains pays d’Afrique et les poids lourds d’Amérique latine tels que l’Argentine, le Brésil et le Mexique, sont de moins en moins disposés à subir la tutelle des Occidentaux, aussi bien sur le plan politique qu’économique. Leur basculement dépendra de l’issue de la guerre en Ukraine, ce qui explique pourquoi les Etats-Unis et l’Europe lui donnent tant d’importance et arment ce pays jusqu’aux dents.
L’autre aspect, moins commenté, est encore plus déterminant pour la philosophie libérale : je veux parler de la «soviétisation» ou de retour de l’Etat dans la direction de l’économie. On a déjà vu que l’état de droit n’existait plus depuis que les avoirs russes et les biens des oligarques avaient été confisqués. La propriété privée garantie par les constitutions démocratiques n’existe plus. Cette perte de confiance sera difficile à rétablir.
La primauté du politique sur l’économie est par ailleurs patente dans le domaine de l’énergie avec le boycott du charbon, du pétrole et du gaz russe au profit des ressources nord-américaines et qataries mais aussi en termes de marchés et de flux, et donc d’infrastructures. La gestion de l’inflation, la relocalisation de certaines productions, les investissements dans les industries nationales d’armement, le contrôle des flux de capitaux et de l’application des sanctions, la montée probable des revendications sociales, additionnés à la nécessité de gérer le réchauffement climatique, signifient de facto la fin du laisser-faire et le rétablissement de l’Etat dans la gestion globale de l’économie.
Moins de marché, plus d’Etat, sur des portions plus étroites du monde: on n’a pas fini de mesurer les effets de la guerre en Ukraine.