Après la crise Covid, l’atmosphère à Berne est au resserrement budgétaire. Cependant, une perspective longue montre que la Suisse n’est de loin pas confrontée à une dette qui dérape, surtout si nous prenons en compte que les taux d’intérêt resteront vraisemblablement modérés.
Une approche à long terme pertinente
En plus des projections à court terme, le département fédéral des Finances (DFF) produit régulièrement des perspectives à long terme sur l’évolution des dépenses, des recettes et de la dette. C’est un exercice qu’il convient de saluer car il permet une vision stratégique. La dernière édition de 2021 présente des projections jusqu’à 2050. Elles montrent que la dette de la Confédération, par rapport au PIB, descend jusqu’en 2035, avant de remonter à cause de la hausse des dépenses liées au vieillissement de la population. Mais ce scénario repose sur l’hypothèse d’une remontée des taux d’intérêt qui est discutable.
Dans une analyse récente, je montre que des hypothèses alternatives, et réalistes, sur les taux d’intérêt indiquent une marge de manœuvre substantielle. Le point de départ est l’étude du DFF de 2021, avec une mise à jour des chiffres récents pour refléter l’inflation et la hausse des taux d’intérêt (le lien vers l’analyse détaillée est en fin d’article). Je suis les projections du DFF pour les recettes et les dépenses hors intérêt, mais m’en écarte pour le coût de la dette.
L’impact majeur des taux d’intérêt
L’étude du DFF calcule le coût de la dette sur base des taux à trois mois et à dix ans. Après quelques fluctuations, ces taux nominaux se stabilisent à 1,6% (3 mois) et 2,6% (10 ans). Ces hypothèses sont plutôt conservatrices, car une littérature scientifique substantielle montre que les taux d’intérêt réels (hors inflation) ont été poussés à la baisse depuis plusieurs années par une série de facteurs, dont le vieillissement qui accroît l’épargne, et l’appétit pour la sécurité que la dette publique offre, facteurs qui ne sont pas appelés à s’estomper rapidement.
Les études portant sur la Suisse indiquent un taux réel à dix ans proche de zéro, et un calcul basé sur la courbe de rendement des obligations de la Confédération donne des valeurs similaires. Si nous ajoutons une inflation de 1% à long terme, nous obtenons des taux d’intérêt plus faible que ceux de l’étude DFF, soit 0,5% (3 mois) et 1% (10 ans).
En combinant les hypothèses de taux d’intérêt avec la structure de la dette de la Confédération, et des hypothèses sur les maturités des émissions futures suivant l’étude DFF, nous calculons le taux d’intérêt effectivement payé par la Confédération sur l’ensemble de sa dette. La figure ci-dessous en montre l’évolution selon les hypothèses DFF (avec ma mise à jour, ligne verte) et mes hypothèses alternatives de taux d’intérêt plus bas (ligne rouge). Nous constatons tout d’abord que le coût de la dette est substantiellement affecté par les hypothèses considérées, et ensuite qu’il est nettement plus faible que le taux de croissance du PIB nominal (ligne grise), et ce même selon les calculs du DFF, ce qui implique que le ratio de la dette au PIB a une tendance à se réduire automatiquement.

Où va la dette de la Confédération?
Les hypothèses différentes sur les taux affectent l’évolution de la dette, surtout pour les horizons lointains. La figure ci-dessous montre l’évolution de la dette par rapport au PIB selon les deux scénarios, qui ne diffèrent que par les hypothèses sur les taux d’intérêt.
Plusieurs constats s’imposent. Tout d’abord, et il est bon de le rappeler, le ratio d’endettement baisse jusqu’en 2035 même selon les hypothèses du DFF (ligne verte). Ce n’est qu’après que la dette augmenter, du fait d’un poids accru des dépenses liées au vieillissement de la population. Ensuite, même en 2050 ce ratio demeure modéré à 14,6%, soit sa valeur de 2015, mais par la suite augmente rapidement.
Mais si nous considérons des taux d’intérêt plus bas, la situation est nettement plus favorable (ligne rouge). Le ratio de dette baisse jusqu’au début des années 2040, et ne remonte ensuite que lentement pour atteindre 12% en 2050. Les perspectives d’endettement de la Confédération sont donc maîtrisées.

Une marge budgétaire substantielle
Les projections présentées ci-dessus reposent sur les hypothèses de rentrées fiscales et de dépenses hors intérêts prises par l’analyse DFF (et mises à jour). Nous pouvons cependant prendre la question sous un autre angle, posant un objectif du ratio de dette au PIB, et calculant ensuite quelle marge de manœuvre cela confère.
Plus précisément, admettons que dès 2025 la dette soit stabilisée à 14,3% du PIB. Cela implique que durant les premières années suivantes la Confédération dispose d’argent qu’elle peut utiliser autrement que pour rembourser la dette. Bien entendu, la situation s’inverse en fin d’horizon du fait de la hausse des dépenses. Les montants sont substantiels. Dans le scénario de taux bas, la Confédération dispose d’ici 2044 d’un montant additionnel de 30,1 milliards de francs (les montant futurs étant escomptés au taux d’intérêt). Si nous prenons en compte les années postérieures jusqu’en 2050, années durant lesquelles les dépenses augmentent, le montant reste substantiel à 26,8 milliards.
En résumé, s’il est clair que le niveau élevé des dépenses durant la crise Covid n’est pas appelé à durer, et s’il est tout aussi clair que le vieillissement de la population pose des défis à long terme, la Confédération n’est pas dans une situation d’urgence qui demande un resserrement rapide des budgets pour faire face à une dette explosive. Elle dispose d’une marge de manœuvre substantielle permettant de garder à long terme un ratio de dette au PIB très bas.