Les sujets ne manquent pas pour occuper les futurs parlementaires durant ces quatre prochaines années à Berne: Europe, climat, approvisionnement énergétique, prévoyance vieillesse ou encore inflation. Mais un thème, pourtant crucial, est davantage passé sous silence. C’est celui de la pénurie de main-d’œuvre.
C’est historique: le marché du travail suisse compte désormais plus de travailleurs sortants qu’entrants et en cinq ans, le nombre de postes vacants a quasiment doublé. Les pronostics varient selon les sources mais la tendance est persistante: dans les prochaines années, on doit s’attendre à une pénurie pouvant atteindre le demi-million de personnes, pour un marché du travail qui compte un peu plus de 5 millions d’actifs! Cela signifie qu’environ 8% des emplois ne trouveront pas preneur.
Cette situation est très préoccupante car c’est la main-d’œuvre qui permet à nos entreprises d’honorer leurs engagements, à l’économie de fonctionner et in fine aux recettes fiscales de rentrer. Pour y remédier, plusieurs pistes existent, allant de l’indispensable ouverture à de nouveaux modèles de travail. Mais suffiront-elles? Rien n’est moins sûr, car le marché du travail doit faire face à plusieurs défis a priori contradictoires.
Pour améliorer la situation, la politique familiale doit être revue, pour mieux inciter les femmes à ne pas renoncer à travailler
Stéphanie Ruegsegger
En effet, pour attirer les talents, les entreprises doivent proposer des modèles en phase avec les aspirations des candidats. Or, ce sont des modèles qui prônent flexibilité et diminution du temps de travail qui ont la cote. C’est d’ailleurs une tendance générale, puisque le pourcentage de temps partiel a augmenté, tant chez les femmes que chez les hommes.
L’évolution technologique apportera sans doute une réponse à cette situation paradoxale, en soulageant l’humain de certaines tâches. Mais cela ne sera pas possible dans tous les secteurs.
Autre apparente contradiction: en dépit de la pénurie, le chômage structurel pourrait augmenter. Une étude de HR Today révèle que si certains profils sont très recherchés, d’autres sont rejetés par le marché du travail. La question de l’employabilité est donc centrale, si l’on ne veut pas laisser cette population au bord du chemin. Le cadre légal doit être adapté à ce nouveau paradigme et les efforts intensifiés pour faire en sorte que chacun trouve sa place. Il ne faut pas oublier qu’au-delà des compétences techniques pointues, d’autres aptitudes, plus humaines, resteront toujours essentielles et ne pourront être remplacées par des robots.
Même si la Suisse est déjà particulièrement intégrative, il convient également d’encourager la participation des travailleurs au marché du travail. Et les femmes constituent un vrai réservoir de talents, qui n’est pas suffisamment utilisé dans notre pays. Pour améliorer la situation, la politique familiale doit être revue, pour mieux inciter les femmes à ne pas renoncer à travailler, en partie ou totalement. La maternité reste un facteur de discrimination salariale en Suisse, et cela doit changer.