Avec ses 46 degrés à l’ombre, l’été à Ryad fait passer notre canicule pour une aimable plaisanterie. Personne ne se risque à sortir dans les rues entre 9 heures et 17 heures car la moindre brise vous brûle les poumons. Qu’à cela ne tienne, en Arabie saoudite, le mot réchauffement était à l’honneur ces dernières semaines. Sur le plan politique en tout cas.
En effet, après avoir été traités comme des parias pendant quatre ans par nos grands démocrates si soucieux des droits de l’Homme – à cause de l’affaire Kashoggi – la monarchie et le prince héritier sont subitement revenus en grâce au point d’être courtisés comme jamais. Mi-juillet, c’était Joe Biden qui allait à Canossa supplier le jeune MBS de renouveler son alliance militaire et d’augmenter sa production de pétrole. Dix jours plus tard, c’était Emmanuel Macron qui recevait le même MBS à l’Elysée après son retour d’Afrique. Et aujourd’hui, c’est au tour du président chinois Xi Jinping d’être annoncé à Ryad.
Pendant ce temps, de l’autre côté du Golfe persique, les présidents Poutine, Erdogan et Raïssi se réunissaient en sommet à Téhéran tandis que les Européens se pressaient à Bakou pour quémander du gaz et faire des guiliguilis au président azéri, pourtant peu connu pour ses tendances démocratiques et dénoncé comme le bourreau des Arméniens.
La guerre en Ukraine a tout remis en cause
Guy Mettan
Pourquoi une telle débauche d’activités dans ce Moyen-Orient qui paraissait être sorti de l’histoire depuis le retrait américain d’Afghanistan l’an dernier?
La guerre en Ukraine a tout remis en cause. La stratégie consistant à faire basculer Kiev dans le giron occidental en plantant un coup d’épée fatal contre la Russie et les nouvelles routes de la soie chinoises ayant échoué par suite de l’attaque russe, il est devenu essentiel pour l’OTAN et les Etats-Unis de reconstituer un glacis solide face aux influences politiques et commerciales russo-chinoises. On renoue avec la vieille stratégie d’endiguement de la menace eurasiatique en créant un nouvel axe qui descend de la Finlande et de la Suède, nouveaux membres de l’OTAN, à travers les pays baltes, les Balkans, Israël et l’Arabie saoudite jusqu’à l’océan Indien, tout en assurant l’approvisionnement de l’Europe en gaz et en pétrole.
En face, grâce à la sécurisation de la mer d’Azov par la Russie, porte d’accès aux voies navigables qui descendent de l’Arctique et de la Baltique vers le Pakistan à travers la Caspienne et l’Iran, on espère rétablir un axe de transport énergétique nord-sud vers l’Inde et l’Asie du Sud-Est, qui soit à la fois plus court, plus rapide et donc moins coûteux que l’itinéraire Méditerranée-Suez.
Dans ce nouveau Grand jeu, l’Arabie saoudite joue évidemment un rôle clef qui n’a pas échappé à Mohamed Ben Salmane. Lequel savoure plus que jamais sa revanche et fait monter les enchères. Après des années de léthargie, durant lesquelles elle a géré sa rente en misant sur le soft power salafiste, l’Arabie est en train de sortir de sa réserve. Les réformes sociales et sociétales s’enchaînent, la jeunesse est mobilisée, l’islam conservateur est recadré, tandis que la politique extérieure s’ouvre vers la Chine, la Corée et l’Asie (ne pas mettre tous les œufs dans le même panier est la formule officielle) et que le développement du pays est massivement encouragé avec des mégaprojets tels que la zone touristique de la mer Rouge et la nouvelle cité technologique Neom.
MBS n’est pas encore roi mais son règne s’annonce très chaud.