La Suisse se targue d’être bien placée dans les classements internationaux (WEF, IMD, OMPI) des pays les plus innovants au monde. C’était bénéfique pour sa prospérité, mais est-ce toujours nécessaire à l’ère de l’intelligence artificielle? Est-ce que l’innovation n’a pas changé de nature avec l’IA? Est-ce que les gains en productivité ne vont pas désormais venir d’un usage immodéré de l’IA? Est-ce que la richesse des nations ne passerait-elle pas par l’IA? Comment définir notre bien-être à l’ère de l’IA? Ne devrions-nous pas avoir un nouveau critère pour mesurer la compétitivité internationale?
Toutes ces questions remettent en question les fondements mêmes de notre perception du progrès.
On avait l’habitude de penser que grâce à l’innovation, on pouvait dégager de nouveaux gains en productivité (notamment avec de nouveaux produits, mais surtout avec l’innovation de la production de masse) et ensuite les partager entre tous. Le progrès avait un marqueur: la croissance des biens matériels. Cela semblait être sans fin. La machine s’emballait et le gaspillage ainsi que les émissions polluantes nous ont ramenés à une autre réalité: la croissance devait être maîtrisée!
Avec la généralisation de l’usage de l’IA, un nouveau paradigme émerge: celui de gains faramineux en productivité sans forcément de croissance
Xavier Comtesse et Philippe Labouchère
Mais avec la généralisation de l’usage de l’IA dans les entreprises, un nouveau paradigme émerge: celui de gains faramineux en productivité sans forcément de croissance. Regardez plutôt avec les générateurs automatiques de textes, le temps d’écriture est diminué par dix, par cent. En informatique, c’est plus spectaculaire encore: tout ou presque peut être traduit en «direct» vers Python ou un autre langage si on le désire.
ChatGPT écrit aussi à la vitesse de la lumière des comptes rendus de séances, des résumés, de la documentation, des rapports annuels, des articles, des blogs, de la publicité, des offres d’emploi, etc. Là où il fallait des heures de travail, on tombe sur quelques minutes. Jamais depuis la première révolution industrielle le monde n’aura connu un tel changement dans les gains en productivité. C’est tout simplement unique.
Et encore, ici, on a évoqué seulement le «paperwork», mais dans les usines, l’IA va transformer aussi la productivité: maintenance prédictive, recalibrage automatique par vision en temps réel, cobotique, stockage par chariot intelligent, etc. L’usine vit sa nouvelle révolution. Elle devient de plus en plus autonome, un peu à l’image de la voiture qui se conduit toute seule!
Ce qui est remarquable, c’est que l’on ne parle plus de nouveauté, mais bien de vitesse. C’est cette accélération des processus de travail qu’il faut comprendre. C’est là tout le secret de l’IA.
Du coup, il faut changer notre regard sur l’avenir et par conséquent changer la politique, notamment celle produite à Berne. Comprendre que désormais l’innovation, c’est avant tout transformer nos entreprises, notre société, sous l’impulsion du formidable accélérateur qu’est l’IA, c’est accepter que la manière dont les choses ont été faites jusqu’à présent n’est plus pertinente pour le futur. C’est une leçon d’humilité que nous offre l’IA. Tout ce que l’on a pensé comme inéluctable pourrait s’avérer pénalisant et contre-productif pour demain. Il faut repenser le futur!