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L’impossible débat serein sur les autoroutes

L’autoroute n’est donc pas seulement une infrastructure routière, elle est devenue un objet de débat civilisationnel. Par Jacques Neirynck

«Nous voterons bientôt sur une initiative destinée à annuler  4,3 milliards de francs à destination d’extension autoroutière. Des organisations de gauche considèrent que c’est une folie autoroutière.»
KEYSTONE
«Nous voterons bientôt sur une initiative destinée à annuler 4,3 milliards de francs à destination d’extension autoroutière. Des organisations de gauche considèrent que c’est une folie autoroutière.»
Jacques Neirynck
Ancien conseiller national
30 janvier 2024, 15h00
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Nous voterons en 2024 une initiative destinée à annuler une largesse de 4,3 milliards de francs à destination d’extension autoroutière, en particulier pour un élargissement de l’A1 entre Lausanne et Genève. Des organisations de gauche considèrent que c’est une «folie autoroutière».

Il est pratiquement impossible d’entrer dans un débat serein sur ce sujet. D’une part, la voiture actuelle pollue, et va à l’encontre de la transition climatique; d’autre part, elle est indispensable pour de nombreux usagers, puisque l’accroissement du parc automobile a été de 41% entre 2000 et 2023. Dès lors il est inévitable que les autoroutes soient saturées et qu’elles soient engorgées par des bouchons, qui constituent un facteur supplémentaire de pollution. On peut rêver d’une Suisse sans voiture du tout mais ce n’est possible que si l’on vit en ville avec des transports en commun adéquats. Il est revanche utopique de concevoir un réseau de transports publics qui couvrirait tous les villages du matin au soir et qui ne soit pas trop onéreux.

Enfin, même un citadin peut souhaiter disposer d’une voiture pour se rendre où il veut quand il veut, sans dépendre des horaires de train, même si c’est une sorte de luxe. A quoi servirait l’élévation de pouvoir d’achat si on ne pouvait pas se payer de petits plaisirs et s’il fallait en concevoir de la honte?

Sous couvert de rigorisme autoroutier, se cache aussi le dessein de densification, tarte à la crème de l’architecture contemporaine

Jacques Neirynck

L’autoroute n’est donc pas seulement une infrastructure routière, elle est devenue un objet de débat civilisationnel. Sous-jacente à cet aiguillon de l’écologie militante se dévoile une affectation morale: il serait juste, bon et nécessaire de se priver. De tout, même de la voiture électrique qui deviendra la règle dans une décennie et qui ne sera plus un vecteur de pollution.

Pour l’éducation du peuple, il est bon qu’il soit astreint à faire la queue dans sa voiture; le bouchon autoroutier est un instrument d’éducation et de pénitence. La population frivole apprend que tout le malheur de l’homme vient de ce qu’il ne reste pas en repos dans sa chambre comme le proclamait déjà Pascal, qui jouissait d’une fortune le dispensant d’aller travailler. Car la bougeotte des automobilistes a aussi un ressort utilitaire: il faut bien gagner sa vie et l’emploi n’est généralement pas situé en face de l’appartement.

Et donc sous couvert de rigorisme autoroutier, se cache aussi le dessein de densification, tarte à la crème de l’architecture contemporaine. Honni soit la maison individuelle avec un bout de jardin! La vertu exige de vivre dans des immeubles barre dont la disgrâce planifiée apprend à dominer un sentiment déplacé de retour à la nature.

L’écologie bien comprise a des objectifs évidents et précis: lutter contre le réchauffement climatique; protéger la diversité biologique, promouvoir une alimentation saine, concevoir une politique de santé abordable. Si on charge trop le bateau avec des buts qui n’ont rien à voir, on obscurcit le message. A trop prêcher une vertu inaccessible, on décourage de vivre tout simplement. On ne sait trop ce qui est le plus insupportable, du cynisme d’une certaine droite ou du moralisme d’une certaine gauche. Ce n’est en tout cas de bonne politique que de ne pas gérer les moyens de transport en fonction de la réalité sociétale.